Grandir avec un parent narcissique : Préparation à l’échec

Les figures parentales narcissiques installent souvent leurs enfants dans des situations vouées à l’échec, puis les blâment pour ces échecs. Ce cycle toxique laisse les enfants avec un sentiment de honte, les empêchant de s'épanouir.

28 OCT. 2024 · Lecture : min.
Grandir avec un parent narcissique : Préparation à l’échec

L'abandon ou la négligence précoce par une figure parentale a des effets néfastes à long terme et sur plusieurs générations. Briser ce cycle de traumatismes intergénérationnels est très difficile.

Dans la psychologie jungienne, les contes de fées, les mythes et même les récits modernes au cinéma sont souvent étudiés pour illustrer des processus psychodynamiques et en tirer des solutions. Dans de nombreux contes, mythes et récits religieux, la prise de conscience débute par un acte de rébellion ou de désobéissance. Le thème de l'expulsion du paradis est souvent représenté par des actes interdits, comme dans Barbe Bleue, l'histoire d'Eros et Psyché, et le Jardin d'Eden, où Adam et Eve mangent le fruit défendu et sont ensuite exilés.

En plus de l'expulsion, L'enfant de Marie aborde l'abandon et la persécution des enfants par une figure parentale cruelle et narcissique, des thèmes également présents dans Blanche-Neige, Hansel et Gretel et Cendrillon. Bien que les abus soient choquants dans ces derniers contes, ils apportent une forme de satisfaction car les méchants reçoivent une juste punition.

Au mariage de Blanche-Neige, la méchante reine est contrainte de danser avec des chaussures de fer brûlant jusqu'à sa mort. Dans Hansel et Gretel, la sorcière et la mère qui a abandonné ses enfants trouvent la mort. Les demi-sœurs de Cendrillon perdent leur chance d'épouser le prince et doivent vivre mutilées après avoir coupé une partie de leur pied pour rentrer dans la pantoufle dorée.

Le conte L'enfant de Marie est différent, car il suscite choc et confusion. Nous ne savons pas comment le juger ni qui blâmer, ce qui renvoie à la difficulté de bien comprendre les subtilités d'une relation toxique avec une personne narcissique.

L'histoire débute avec un pauvre bûcheron et sa femme, incapables de nourrir leur unique fille de trois ans. La Vierge Marie descend et demande à emmener l'enfant au ciel pour l'élever comme la sienne. Le bûcheron obéit, nous laissant croire que cela est bénéfique. Mais si l'intention de Marie était d'aider, pourquoi n'a-t-elle pas simplement donné de la nourriture à la famille ? Nous voyons donc une femme narcissique qui profite du désespoir d'une famille pauvre pour enlever un enfant qui ne lui appartient pas.

Les parents montrent des réactions peu instinctives, laissant l'enfant subir un traumatisme précoce lié à la négligence et à l'abandon. Même si l'enfant se trouve désormais littéralement dans un paradis et entouré de richesses, elle est paradoxalement privée de l'expérience d'une enfance saine. Sa vie, trop unilatérale, empêche son développement naturel, car vivre uniquement de gâteaux et de lait sucré ne peut soutenir sa croissance. Personne ne peut mûrir en jouant simplement avec des petits anges, toujours bienveillants. Les enfants ont besoin d'explorer le monde, de se salir et de développer leurs sens pour bien grandir. Une enfance surprotégée les rendra moins aptes à affronter la vie.

Quand l'enfant a quatorze ans, la Vierge Marie, sa mère de substitution, part en lui confiant les clés du royaume des cieux tout en lui ordonnant de ne pas ouvrir la treizième porte. Dans cet âge d'adolescence, la jeune fille ne peut résister sa curiosité, et désobéit. Ce geste marque un rite de passage vers l'âge adulte, révélant des dimensions cachées de la vie.

A son retour, Marie remarque les signes de maturation de la jeune fille. Cependant, lorsque celle-ci est interrogée, elle ment et se défend de toute désobéissance. Marie finit par l'expulser du ciel et de l'abandonner à la forêt. La jeune fille est ainsi abandonnée et traumatisée une deuxième fois.

Cette expulsion rappelle le destin de Blanche-Neige, dont la beauté et la croissance sont insupportables pour sa mère jalouse et superficielle. C'est intéressant de noter que les versions originales de 1812-1815 de Blanche-Neige et de Hansel et Gretel mettent en scène une mère cruelle plutôt qu'une belle-mère. Comme cela a dû choquer le public du début du XIXe siècle, les frères Grimm ont donc remplacé la mère par une belle-mère. Mais les figures parentales toxiques existent dans la vraie vie, que ce sont des mères, pères, grand-parents, ou autres figures d'autorité.

Les mères de Blanche-Neige et de Marie ne peuvent supporter l'idée que leurs filles grandissent pour devenir des femmes incarnées et puissantes. Elles choisissent donc de les bannir dans la forêt, cherchant à éliminer ce qui les dérange.

Leurs actions sont d'une cruauté particulièrement atroce. La mère de Blanche-Neige va jusqu'à engager un chasseur pour tuer sa fille et rapporter ses poumons et son foie, qu'elle prévoit de consommer. Cette persécution est non seulement physique, mais aussi définitive. Sur le plan symbolique, la méchante reine veut prendre (ingérer) le souffle de vie de Blanche-Neige (ses poumons) et sa jeune âme féminine (dans de nombreuses traditions anciennes, le foie est considéré comme le siège de l'âme).

Sur le plan psychologique, l'abus de Marie est encore plus insidieux : elle culpabilise, humilie et accuse la jeune fille, refusant d'assumer la responsabilité de sa propre réaction cruelle et vindicative. Alors que la méchanceté de la reine est clairement identifiée dans le conte de Blanche-Neige, l'ombre de Marie est masquée et projetée sur la fille, qui porte le poids de cette honte.

L'ombre, terme jungien, représente les aspects inconnus de soi qui résident dans l'inconscient personnel et collectif. L'individuation, le but d'une analyse jungienne, est le processus d'intégration de ces parties de sa personnalité, pour atteindre une réalisation complète de son être.

Après avoir choyé la jeune fille pendant onze ans au paradis, Marie la jette brutalement dans l'abandon total de la forêt, la laissant seule, sans voix pour appeler à l'aide ni possibilité de fuir ou de chercher du soutien. Cette décision tombe sans préavis, sans explication ni adieu, ne laissant à la jeune fille ni le temps d'assimiler le choc, ni la possibilité de saisir pleinement les conséquences de sa désobéissance.

A ce stade, nous ressentons une certaine confusion. Qu'est-ce qui s'est réellement passé ? Qui est responsable de cette situation terrible ? La jeune fille est-elle malveillante pour avoir menti et évité la responsabilité de sa transgression ? Ou la Vierge Marie l'est-elle pour avoir infligé une punition si sévère ?

Chaque parent reconnaîtrait que la curiosité de l'enfant et ses actes de rébellion sont normaux, faisant partie du processus de croissance. A l'adolescence, ce comportement devrait s'intensifier, et l'enfant apprend à assumer la responsabilité de ses actions. Cependant, cette jeune fille a grandi dans un paradis sans conflits ni apprentissages. A quatorze ans, elle reste enfantine et incapable de prendre ses responsabilités. L'histoire semble imputer la faute à la jeune fille, qui doit en subir les conséquences très graves.

Cette dynamique rappelle le comportement d'un facilitateur codépendant ou d'une personne narcissique, qui manipule ceux qui les entourent pour les isoler et les rendre dépendants. Lorsque leur cible échoue, ils blâment et punissent, comme si tout était de leur faute.

Ainsi, Marie prépare l'enfant à l'échec en négligeant de l'éveiller aux réalités de la vie et en l'installant dans une situation inévitablement vouée à l'échec (en lui donnant les clés). C'est un comportement très typique pour une personne narcissique en situation d'autorité.

Fondamentalement, les narcissiques sont incapables de voir les autres comme des êtres humains séparés ayant leur propre vie, leurs droits, leurs souhaits, leurs besoins et leurs rêves. Les autres sont soit des outils pour les aider à obtenir ce qu'ils veulent, soit une extension d'eux-mêmes.

Et ceci inclut les enfants dont ils ont la charge. Un parent narcissique cherche à améliorer sa propre image : il veut par exemple que ses enfants soient beaux, intelligents et qu'ils réussissent. Mais l'enfant ne devrait jamais être plus beau, intelligent et performant que son parent narcissique. L'important pour un parent narcissique c'est l'apparence extérieure et non le bien-être et l'épanouissement de l'enfant. Le parent peut se montrer tour à tour un tyran ou un être impuissant et nécessiteux mais l'accent est toujours mis sur ses besoins et non sur ceux de l'enfant.

Lorsque les enfants de parents narcissiques grandissent, ils ont souvent des problèmes de limites mal définies. Ils n'ont pas été autorisés à exprimer leurs propres besoins et opinions, au risque d'être abandonnés ou punis. Ils ont internalisé la honte injustement attribuée par leur parent narcissique, ce qui fait que de simples transgressions normales entraînent des conséquences démesurées.

Ne connaissant pas les frontières entre eux-mêmes et les autres, ils se retrouvent souvent submergés par les désirs inconscients d'autrui, incapables de les distinguer des leurs.

En tant qu'adultes, ils peuvent évoluer en alternant entre être au service de ceux dont ils ont peur de perdre l'amour, la rage et le ressentiment de ne pas être libres de mener leur propre vie, et la culpabilité et la honte de ne jamais pouvoir être à la hauteur des attentes déraisonnables fixées pendant leur enfance et perpétuées par leur petite voix intérieure.

Même coupés de la relation toxique initiale, ils peuvent perpétuer les abus et l'abandon qu'ils ont subis par toutes sortes de comportements destructeurs envers les autres et/ou envers eux-mêmes.

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Écrit par

Peggy Vermeesch

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Bibliographie

  • Peggy Vermeesch (2023). La guérison des traumatismes précoces et des abus narcissiques à partir des contes de fées. Espace Francophone Jungien.
  • Peggy Vermeesch (2023). Peut-on être envahi par l'ombre maléfique d'un autre ? Espace Francophone Jungien.
  • Peggy Vermeesch (2023). Traumatisme intergénérationnel et guérison. Espace Francophone Jungien.
  • Dariane Pictet (2021). Mirroring Self Love. Quadrant, Vol 50, 1&2.
  • The Original Folk and Fairy Tales of the Brothers Grimm : traduction anglaise de 2014 par Jack Zipes à partir des deux premières éditions des Contes de l'enfance et du foyer des frères Grimm de 1812 et 1815.

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