Addiction au sexe : jouissance sans modération, jouissance à répétition

L'addiction comble illusoirement un vide dans un besoin compulsif de se remplir, un symptôme reposant sur le principe plaisir-déplaisir et d'équilibre relatif des tensions.

12 AVRIL 2021 · Lecture : min.
Addiction au sexe : jouissance sans modération, jouissance à répétition

Les addictions sont un thème qui est souvent abordé dans nos cabinets. La liste est large. Voici quelques petites réflexions sur l'addiction au sexe.

"L'addiction est une compulsion impossible à maîtriser. Elle est hors contrôle, elle relève de la pulsion qui doit atteindre son but : décharger le trop plein, rééquilibrer."

Elle passe bien souvent par le corps. On peut le constater avec la colère et le pétale de plomb tout comme avec l'engloutissement du paquet de galettes dans le placard. Il en est de même pour le sexe.

Addiction et compulsion

Un de mes patients évoquait avoir eu depuis des années trois maîtresses régulières qu'il voyait l'une après l'autre tout au long de la journée et avec pour chacune plusieurs rapports sur chaque rendez-vous. Il n'avait plus la possibilité de travailler, tout son temps était pris dans ses rendez-vous. Il s'étaient trouvé que les trois maîtresses en question n'avaient plus étaient été disponibles en même temps et il s'en était suivi une profonde dépression de la part de mon patient. C'était le grand vide.

Sur un autre décor, c'est ce même vide pour le fumeur qui réalise qu'il n'y a plus de cigarette dans son paquet le dimanche matin, prêt alors à courrir des kilomètres, s'il n'a pas anticipé sa dose le vendredi "de peur d'en manquer". Le corps ne déchargeait plus et l'esprit ne se rassurait plus. C'était l'angoisse. Nous voyons dans le cas de l'addiction la puissance de la notion de répétition. On tourne boucle. Les rdv sont toujours les mêmes, en boucle mortifère qui ne laisse plus de place au vide.

La notion de répétition est essentielle en psychanalyse et relève de la pulsion de mort. L'addiction permet de compenser par l'extérieur le manque interne. La réalisation hallucinatoire d un désir permet ainsi de régler l échec. Ceci vaut pour toute les addictions.

Mais finalement qu'est-ce que l'addiction ?

Névrose, psychose ou perversion ?

Je dirais qu'en fonction de la place de l'autre, on peut situer la pathologie comme relevant de la névrose, la psychose ou la perversion.

"J'ai vu en lui un prédateur" me disait I., qui vivait depuis des mois une relation d'emprise avec un garçon addict au sexe et aux réseaux sociaux de rencontre. "Il ne m'aimait donc pas moi pour moi", disait-elle dans sa phase de deuil et de désillusion, nécessaire à sa liberté de sujet.

L'addiction est possible dans les trois structures psychiques et le point commun c'est le comble (remplissage) d'un vide.

Lorsque I. n'était plus disponible, il arrivait qu'elle soit réveillée plusieurs fois par nuit, recevant jusqu'à 30 appels de détresse, sans qu'elle ait elle-même la force d'éteindre son téléphone et de couper le lien, l'addiction étant réciproque. "J'ai besoin de toi, c'est vital, c'est plus fort que moi".

Addict à quoi ?

Le choix de l'objet sur lequel va se décharger la pulsion( la personne, le travail, le sport, le sexe, la bouteille, la drogue etc) est important. S'agit il de se détruire? I. était-elle cette bonne mère, disponible totalement, pleinement? Parfois l'objet addictif se remplit aussi de la mauvaise mère, toxique ou morte (au sens d'André Green), voire du père. Le choix de l'illicite permet d'évoquer le rapport à la loi et aux règles. Par la nourriture, la drogue, il y a ce fond archaique de mal-bouffe. S'agit il de se rassurer sur son phallus et son narcissisme? S'agit il de décharger son corps? Oui, tout cela réunis dans le fantasme.

Le sexe est un des choix possibles. Ce n'est pas un choix de hasard, évidement. Dans le sexuel, il y a aussi la place donnée à l'autre. Que cherche-t-on dans le sexe ? Quel est la place de cet écran tiers dans le cybersexe ? Quelle est la place de la pulsion de voir et d'être vu ? Que signifie se cacher (dans les toilettes souvent) pour voir l'écran ? La décharge physique ? L amour ? Le lien ? Le fantasme ? Le plaisir ? Est-t-on centré sur soi et/ou sur l'autre ? Ce n'est pas là la même chose. La centration sur soi avec la masturbation va exclure l'autre et la possibilité de danger venant de la part du désir de l'autre. Fanstasme, jeu et performance

Tout devient question de contrôle et de maîtrise. Le plaisir est il centré sur la jouissance ? Lacan disait que le rapport sexuel n'existe pas, chacun des partenaires étant dans son propre fantasme. S'agit il de castrer et de dominer ? Soumettre ? Le sexuel est le lieu du fantasme, du jeu. Un espace intermédiaire entre l'imaginaire, le symbolique et la réalité. Parfois les limites imaginaire et réalité débordent.

Phallus et narcissisme

Opter pour la performance est un exemple. Quelle que soit la raison, la dépendance au sexe va relever d'une dépendance affective incontournable. En général et au minimum il faut être deux dans les rapports sexuels et le choix du partenaire ne se fait pas non plus par hasard. Qu'est ce qui se (re)joue ? Il faut envisager également l'ouverture au champ de la perversion. Comme dans toutes les addictions, le cadre et les limites vont poser problème. C'est ce que nous pouvons observer avec le cyber sexe, le sexe payant, la masturbation compulsive. Ou est la limite ? Très floue puisqu on parlera de Moi passoire. La perversion est aussi à noter dans le fétichisme ou le voyeurisme lesquels vont utiliser la pulsion scopique. Il y a également des comobidites avec l'usage de drogues et l'abus de psychotropes possible. Il se pose aussi la question du désir dans la dépendance au sexe. Désir de quel partenaire ?

L'autre sera l'objet partiel lié à la pulsion (cet objet d'amour visé par la pulsion sera les seins par exemple dans le sexuel comme la nourriture le sera dans le trouble alimentaire). C'est le vide et la solitude. C'est aussi la peur d'aimer et de perdre, la peur de s'attacher et de se faire engloutir. Entre plaisir et manque, la question de la jouissance est liée à une certaine part de souffrance.

Souffrance et dépendance

L'addiction au sexe peut entraîner de grands dommages sur la santé mentale et corporelle ainsi que dans le couple. De nombreuses demandes de thérapies de couple sont consécutives à des tromperies et à une fatigue du partenaire qui en a marre d'être sollicité de trop. Ou situer sa limite entre le normal et le pathologique ? Quand c'est trop, quand c'est un besoin. Quand le reste du quotidien et l'entourage sont mis de côté.

L'addiction au sexe en psychothérapie n'est pas vraiment une demande venant de la personne concernée mais plutôt du partenaire. Ou alors c'est la culpabilité d'avoir été pris sur le fait qui déclenche la demande de consultation. Alors jouir oui mais alors en toute liberté.

Ce n'est pas la même chose que jouir pour se rassurer...

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Corinne Vera Alexandre

Psychanalyste, Hypno analyste, Psychothérapeute et Sexothérapeute, elle exerce dans le Vaucluse à Bollène et Avignon ainsi qu'en ligne. Elle utilise les thérapies brêves en association de la psychanalyse dans une pratique intégrative en EMDR et en Hypnose.Sa pratique est aussi psychocorporelle avec l'hypnose et de la médiation corporelle.

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Bibliographie

  • « La complusion de répétition est au-delà du principe de plaisir dans la mesure où les opérations de séparation et de recombinaison le dépassent". (André Green, La Diachronie en psychanalyse, Editions de Minuit, p.131)

  • S. Freud, Au-delà du principe de plaisir, Petite Bibliothèque Payot, 2010

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