La relation de votre adolescent avec internet : socialisation ou enfermement ?
Internet propose 3 dimensions que les adolescents recherchent : un nouveau groupe de pairs, un idéal, et des sensations fortes...
Les adolescents recherchent trois dimensions :
- Un idéal : tous les jeunes sont en quête existentielle. Au moment où ils vont devenir des adultes, plusieurs questions les assaillent : Quel est ce monde dans lequel je vis ? Peut-on le rendre meilleur ? Quelle est ma place ? Quel est mon rôle ? A quoi je sers ? Et bien entendu : y aura-t-il assez de places pour tout le monde ?
- Un groupe de pairs : c'est l'âge où les jeunes ont besoin de se prouver qu'ils peuvent survivre en quittant leurs parents, en se dégageant de leurs appartenances premières pour construire de nouveaux repères. Pour arriver à réaliser cette transition, ils s'appuient sur un groupe de pairs. Quoi de plus attirant qu'une « tribu numérique », toujours disponible, 24h/24H, dans l'immédiateté ?
- Des sensations fortes : Internet permet à la fois de mélanger des images « choc », une musique envoûtante, des rythmes entraînants et une ambiance hypnotique…
L'approche émotionnelle des réseaux sociaux peut angoisser le jeune…
Les adolescents ne se méfient pas d'internet car il est devenu aujourd'hui l'instrument de communication le plus utilisé par le monde entier et symbolise d'abord un espace de liberté. Ainsi, ils n'imaginent pas qu'ils puissent se retrouver « en danger » en l'utilisant. Contrairement à des situations de la vie de tous les jours où ils apprennent à être attentifs aux personnes qui les entourent à l'extérieur – dans le métro, le bus, la rue, etc. -, ils rentrent en contact par internet avec des inconnus à partir d'un lieu intime où ils se sentent en sécurité : leur maison, leur chambre, entourés de leurs objets personnels. Ainsi, ils ne mobilisent pas leurs outils psychiques de vigilance, habituellement en alerte.
Ainsi, tout jeune peut facilement être enseveli par le principe cumulatif et participatif d'internet, dans un enchaînement de vidéos qui semblent répondre à ses questions existentielles… Ces dernières peuvent par exemple contester le système productif (alimentation, médicaments, vaccins, écologie, publicité, etc.), avec plus ou moins de justesse, en mélangeant des informations vraies et fausses…. Pas forcément nocives en elles-mêmes, le cumul sur l'angle du complot style « tous les adultes te mentent », peut placer le jeune dans une vision du monde relativement anxiogène. Tous ses repères s'effritent, il se demande comment discerner le vrai du faux et ne sait plus à qui il peut faire confiance. En même temps, il a le sentiment d'avoir compris la cause de son mal-être et des injustices de la société. Cette approche émotionnelle anxiogène vulgarisée par les réseaux sociaux diminue la confiance qu'il a envers la société et ses interlocuteurs habituels : les médias, mais aussi ses professeurs, sa famille... Comme le démontrent les travaux de Gérard Bronner, l'essence de toute vie sociale repose pourtant sur la confiance entre les humains[1].
Un nouveau groupe d'amis qui le valorise et le comprend…
La question relationnelle occupe le cœur de l'adolescence, puisqu'il s'agit de se prouver que l'on va pouvoir se détacher du groupe familial et devenir autonome. Internet donne au jeune le sentiment d'avoir des amis qui le comprennent et qui ressentent les mêmes émotions[1]. Ces « nouveaux amis » apparaissent comme un groupe sécurisant, puisque ce sont eux qui ont expliqué et commenté les vidéos dénonçant les dysfonctionnements de la société. Ils deviennent les nouveaux « interlocuteurs de confiance », ceux qui ont du discernement, sur qui on peut compter. La communication permanente « en instantané » peut provoquer un sentiment d'exaltation qui rassure. L'identification à certains influenceurs peut donner le sentiment d'être « les mêmes ». Or le sentiment de fusion rend plus fort. La complexité du monde fait moins peur. Arrive alors un certain mimétisme, et l'identité du groupe absorbe une partie de l'identité du jeune…
Comment détecter une dépendance d'un jeune à son réseau internet ?
L'addiction des échanges virtuels provoque un détachement du monde réel. Le jeune n'arrive plus à s'intéresser aux personnes avec lesquelles il était en contact auparavant. Des ruptures peuvent apparaître :
- Refus de lâcher son téléphone en toutes circonstances, surinvestissement du « temps internet » et frustration extrême quand un adulte essaye de poser une limite ;
- Difficultés à participer aux « rituels familiaux » : manger ensemble, aller au cinéma ensemble, discuter ensemble, faire un gâteau ensemble, etc.
- Éloignement de ses anciens amis qui n'évoluent pas comme lui : il a l'impression de ne plus avoir grand-chose à leur dire, de ne pas avoir les mêmes valeurs…
- Remise en question des ses activités de loisirs ou de sport ; désinvestissement scolaire possible ;
- Perte de confiance envers les interlocuteurs qui contribuaient à sa socialisation : professeurs, animateurs sportifs, parents…
Que faire ?
L'aide aux parents peut consister à comprendre quel est le « bénéfice inconscient » de cette sorte d'addiction un peu particulière…. Qu'est-ce que cette tribu numérique vient combler comme besoin inconscient chez lui ? Pourquoi cherche-t-il à s'échapper dans le monde virtuel ? Le jeune a-t-il peur de sa future autonomie ? A-t-il besoin d'être rassuré sur ses compétences ? Est-ce une façon de tester les limites de ses parents ? De provoquer leur cadre de vie ? A-t-il des difficultés à déterminer ce qui relève de ses désirs par rapport à ceux des autres ? Exprime-t-il une régression qui lui permet de retourner dans sa toute petite enfance où il avait « tout tout de suite » ? En fait, il va falloir aider les parents à faire des hypothèses sur la « fonction » de ce surinvestissement des réseaux sociaux, afin de les aider à aiguiller leur adolescent vers d'autres moyens de répondre à ses questions existentielles, de manière à ce que Internet (re)devienne un instrument de relation humaine riche et efficace, et non pas un objet qui entrave au contraire sa socialisation.
Dounia Bouzar, psychopraticienne spécialisée enfance et adolescence, ancienne éducatrice, anthropologue du fait religieux, ancienne directrice du CPDSI (Centre de Protection contre les Dérives Sectaires), essayiste plusieurs fois primée pour ses ouvrages sur l'adolescence, consultante du film « Le ciel attendra » (cf photos Guy Ferrandis du film « Le ciel attendra », d'une jeune fille qui se fait happer par les vidéos sur internet et va se laisser embrigader par un réseau extrémiste violent).
Photos : Shutterstock
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