Que savons-nous sur les étapes du deuil ?
Qu'est-ce que le deuil ? Doit-on forcément passer par une dépression après une perte ? Qu'est-ce qu'un deuil pathologique ?
De nombreux articles proposent une description théorique des différentes étapes du deuil. Ils ne s'accordent pas tous sur l'ordre ni sur le contenu de ces étapes. L'observation clinique et l'accompagnement en EmetAnalyse de nombreux patients qui traversent ce type d'épreuve, permettent de nuancer et d'enrichir ces théories et d'établir de façon empirique un nouveau modèle pour comprendre le processus de deuil.
Si les phases de déni et d'acceptation sont en général bien observables, les étapes intermédiaires communément décrites sont loin d'être incontournables, tout au moins ne s'enchaînent-elles pas forcément dans le même ordre ni avec le contenu communément décrit. Cela concerne en particulier la soi-disant étape de la colère, qui devrait obligatoirement précéder une étape de dépression (comme si l'on devait forcément passer par une « dépression » lors d'un deuil), puis celle du marchandage décrit comme une sorte de chantage vis-à-vis de la Vie.
Cette vision restrictive est probablement due à une observation phénoménologique et comportementale de cas pathologiques, c'est-à-dire de personnes qui consultent précisément parce qu'elles ne parviennent pas à faire un deuil. Une autre perspective peut être envisagée, qui considère le processus dans sa globalité en se posant la question de ce qui fait un deuil « réussi », par comparaison à un non-deuil (ou deuil pathologique). C'est assurément le point de vue qu'adopte l'EmetAnalyse. Il a le mérite d'interroger et d'éclairer sur les critères du deuil résolu, afin de mieux accompagner le consultant endeuillé.
La phase du déni
Toute perte (d'un être, d'un bien, d'une relation ou d'un emploi) peut être vécue comme un traumatisme. Si le choc de la perte est trop fort, l'individu peut mettre en place un pare-choc émotionnel : la réalité, trop difficile à supporter, est niée. On se dit que ce n'est pas possible, que c'est un cauchemar dont on va se réveiller. Cela peut aller jusqu'à prétendre que l'être ou l'objet perdu est toujours présent, et on entretient les rituels qui s'y rattachent : on laisse intacts la chambre et les affaires du défunt, on continue de dresser son couvert, de lui parler, cela peut aller jusqu'à halluciner le/la défunt(e). Dans le cas d'une séparation, on va relancer sans cesse la personne qui nous a éconduit et se persuader qu'on va pouvoir la faire changer d'avis.
Un autre genre de pare-choc émotionnel, à ne pas confondre avec le déni, peut aussi se mettre en place chez les personnes qui ont perdu un être cher et qui doivent faire face, comme c'est souvent le cas, à une multitude de démarches et de contraintes (administratives et familiales) dans les jours qui suivent. Ces personnes font alors preuve d'une grande énergie et d'une apparente stabilité émotionnelle, qui étonnent leur entourage. Il ne s'agit pas d'insensibilité ou de déni, mais d'un réflexe qui permet de « fonctionner » pour « faire face ». Lorsqu'on les interroge, elles décrivent l'impression de fonctionner en « mode automatique », sans réflexion ni émotions. Elles font ce qu'elles ont à faire. On sent bien qu'en dessous, l'émotion couve et qu'il suffit d'ouvrir la vanne… Une fois les démarches terminées, la personne va laisser libre court à ses émotions.
La pression des émotions
Lorsque le processus de deuil se passe bien, c'est donc la phase de pression des émotions qui prend place lorsque la personne sort du déni : tristesse, colère (on en veut aux autres ou à soi), peur (du changement et de la nouvelle vie qui se présente), culpabilité (d'être en vie ou de ne pas avoir pu sauver l'autre, la relation ou la situation).
Dans les cas où elles trouvent à s'exprimer, ces émotions vont se succéder sans suivre un ordre particulier et peuvent se rejouer plusieurs fois, tant que le nœud (conflit psychique) qu'elles renferme n'est pas résolu. C'est une phase déterminante pour la résolution du processus de deuil, car tant que les émotions ne sortent pas, soit la personne reste bloquée dans la phase de déni, soit elle bascule sur le versant du non-deuil. Les émotions étant proportionnelles à l'objet de la perte, il arrive que l'individu ait peur d'être submergé par ce tsunami émotionnel : c'est là qu'il risque de se mettre en mode « pare-choc » et de basculer dans une dépression mélancolique, signe d'un deuil pathologique, souvent accompagnée de violence (contre soi ou les autres) ou d'addictions. A noter que se jeter dans le travail jusqu'à s'en abrutir est une forme d'addiction (permet de fuir le quotidien et les émotions trop difficiles). La personne ne vit plus mais survit, dans une forme de détachement où tout lui est égal…
La violence comme signe du non-deuil est particulièrement évidente lors des conflits sociaux, quand l'une des parties en négociation n'arrive pas à faire le deuil de certaines de ses revendications. Les protagonistes frustrés se retournent alors contre l'autre partie et commettent dégradations de matériel, séquestrations, jusqu'à s'en prendre physiquement à un bouc émissaire, que l'on agresse ou que l'on rend responsable de tous les maux.
Le rôle du thérapeute, s'il constate le refoulement de la phase émotionnelle, est d'aider le sujet à accepter de vivre et de traverser cette étape.
Le marchandage +
Lorsque le processus de deuil se déroule bien, après l'étape d'expression des émotions vient le « tipping point » (point de bascule) : moment où l'individu peut passer sur le versant du deuil résolu. C'est la phase dite de « marchandage positif » qui permet de « limiter » la perte, pour qu'elle ne devienne pas traumatique. La personne prend du recul sur la situation, comprend qu'elle ne perd pas « TOUT » et qu'il y a peut-être quelque chose à gagner dans la nouvelle situation (sauf dans le cas du décès d'un enfant, d'un conjoint). Cette étape, synonyme de résilience lorsqu'elle se déroule bien, sollicite les ressources structurelles de l'individu, étayées par sa foi en la Vie. A cette étape, le rôle du thérapeute consiste à soutenir la personne dans son travail de résilience.
Quand le sujet ne parvient pas à faire ce marchandage positif avec la Vie, cela se transforme en un chantage mortifère qui l'entraîne du côté de la dépression mélancolique ou de la violence, contre soi ou les autres : « puisque j'ai 'TOUT' perdu, la vie ne vaut plus la peine d'être vécu », ou bien « si tu ne me rends pas ce que j'avais, je casse tout ! ». C'est cet écueil dont il est très souvent question dans les théories sur le deuil. Il est important de souligner que ce n'est pas une fatalité et que le marchandage peut aussi se faire sur le versant positif, heureusement !
La dé-pression
Pour traverser ces 3 premières étapes le sujet a déployé une énergie considérable, notamment pour réussir le marchandage positif, qui demande un complet retournement psychique. Il est donc normal, à l'étape suivante, de traverser une sorte de dépressurisation, qui va permettre le lâcher prise nécessaire à l'étape d'acceptation qui suivra.
Le sujet a compris qu'il ne peut pas revenir en arrière, qu'il est capable de s'adapter à sa nouvelle situation et qu'elle comporte des avantages ou une occasion de rebondir. Il peut enfin baisser la garde, se poser et se re-poser, se re-trouver. C'est un moment d'intériorisation et de rééquilibrage, qui peut amener le sujet à s'isoler temporairement et à se « purger » des dernières émotions résiduelles, comme on peut pleurer après un examen ou un événement important, quand la pression retombe. Dans l'accompagnement, il faut rassurer le consultant et ses proches sur cette baisse d'énergie qui peut l'inquiéter et le soutenir pour qu'il s'autorise cette pause de récupération et d'intégration.
L'acceptation
Cette étape débouche ensuite sur l'acceptation de la nouvelle situation, qui est bien plus qu'un « c'est comme ça » fataliste ou résigné, dans le cas d'un deuil réussi.
Conclusion
Ce modèle des étapes du deuil a le mérite de fonctionner dans tous les registres, que ce soit dans le cadre d'une perte humaine ou dans celui d'un changement de vie, comme un déménagement, la fin d'une relation ou une perte d'emploi. Il a le mérite de replacer toute perte dans l'optique d'un processus « naturel » qui fait partie intégrante du mouvement de la Vie, et d'aborder les changements, inévitables, comme une force de progression plutôt qu'une fatalité pénible qu'il faut traverser tant bien que mal.
Photos : Shutterstock
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C'est un article vraiment intéressant et il me donne la confiance nécessaire pour accepter ma situation actuelle et aller de l'avant. Merci beaucoup pour votre aide.
Bonjour, cet article est très intéressant mais pensez-vous que le deuil de ne jamais pouvoir avoir d'enfants peux s'exprimer de la même façon? Merci