Être masochiste : principaux signes et pourquoi nous le sommes
Pourquoi les êtres humains recherchent souvent la souffrance de manière inconsciente et comment la psychanalyse peut aider les gens à se libérer de schémas autodestructeurs profondément ancrés dans leur psyché.
Le but essentiel de l'être humain n'est pas son propre bonheur
Sigmund Freud
Lorsque nous nous demandons si l'être humain est intrinsèquement masochiste, nous entrons sur un terrain complexe qui a été exploré en profondeur par certains des plus grands théoriciens de la psychanalyse, tels que Sigmund Freud et Jacques Lacan. Bien que cette question puisse paraître dérangeante, elle est profondément ancrée dans notre structure psychique et mérite d'être analysée d'un point de vue théorique et clinique.
Le point de vue de Freud : Le masochisme primaire
Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, a été l'un des premiers à aborder le concept de masochisme d'un point de vue clinique et théorique. Dans son ouvrage de 1924, « Le problème économique du masochisme », Freud introduit le concept de « masochisme primaire », qui met en avant l'idée que le masochisme n'est pas simplement un comportement appris ou une déviation, mais qu'il fait partie intégrante de la structure psychique de l'être humain.
Freud relie ce masochisme primaire à la « pulsion de mort », une force interne qui, selon lui, nous pousse à l'autodestruction et à la souffrance. Tout organisme qui naît tend vers la mort, il y a donc une partie de chaque être vivant qui cherche la mort par le plus court chemin (pulsion de mort) et une autre partie qui tend à la détourner et à l'éviter (pulsion de vie). De l'amibe à l'être humain, plus l'être vivant est complexe, plus le détour et l'évitement sont complexes. C'est de cela qu'il s'agit lorsque l'on parle de mélanges pulsionnels dans la structure de base de notre psychisme.
Lorsque l'on parle de masochisme primaire, il ne s'agit pas d'une perversion sexuelle, mais de cette tendance à la mort inhérente à tout être vivant, la pulsion de mort cherchant sa satisfaction par le chemin le plus court. Cette pulsion opère à un niveau inconscient et c'est à ce niveau qu'agit l'interprétation directe en thérapie. Elle se manifeste dans la vie quotidienne par des comportements autodestructeurs, tels que l'abus de substances, l'automutilation et la répétition compulsive de situations douloureuses ou frustrantes. En d'autres termes, selon Freud, une partie de nous trouve inconsciemment une étrange satisfaction dans la souffrance.
Lacan et le concept de « jouissance ».
Jacques Lacan, l'un des psychanalystes les plus influents du XXe siècle, reprend et approfondit de nombreuses idées de Sigmund Freud, apportant des concepts novateurs qui reformulent la compréhension de l'inconscient et du désir humain. L'un des concepts les plus importants introduits par Lacan est celui de « jouissance », qui revêt une importance capitale dans son œuvre et dans la compréhension du masochisme.
Dans la théorie lacanienne, la « jouissance » désigne une forme de satisfaction qui va au-delà du plaisir tel que nous l'entendons communément. Contrairement au plaisir, qui est régi par le « principe de plaisir » freudien (qui cherche à éviter la douleur et à réduire la tension), la jouissance implique une satisfaction paradoxale, une forme de plaisir dans la douleur ou la souffrance. C'est un état dans lequel le sujet éprouve une satisfaction intense, mais qui ne peut être reconnue consciemment comme telle, car elle est profondément ancrée dans l'inconscient. La jouissance défie la logique du plaisir parce qu'elle n'est pas orientée vers l'homéostasie ou l'équilibre, mais vers la transgression des limites et le dépassement de la barrière du plaisir pour entrer dans un territoire qui implique la douleur, l'excès et, en fin de compte, la souffrance.
La jouissance est donc liée au masochisme en ce qu'elle implique une recherche inconsciente de l'excès qui déborde le simple plaisir, conduisant à une douleur qui, paradoxalement, procure une satisfaction intense et inavouable. Pour Lacan, cette jouissance est une force puissante qui piège le sujet, mais qui ne peut être contrôlée ou canalisée de façon simple.
L'implication de la jouissance dans la théorie lacanienne est que l'être humain n'est pas seulement à la recherche du plaisir ou de la satisfaction de ses besoins, mais qu'il recherche aussi, à un niveau plus profond, une expérience qui l'amène au-delà des limites du supportable, vers une rencontre avec l'inconscient refoulé dans une tentative de résolution. Cette rencontre avec la jouissance peut prendre la forme de répétitions autodestructrices, de souffrances persistantes ou d'une attirance pour des expériences qui, bien que douloureuses, procurent une sorte de satisfaction inconsciente.
Être masochiste : principaux signes
Paul Verhaeghe, psychanalyste contemporain, a également exploré ce thème dans son travail. Verhaeghe suggère que dans la société actuelle, la souffrance et la douleur peuvent faire partie de l'identité d'un individu. Dans son analyse, il affirme que le besoin de reconnaissance et de validation peut conduire certaines personnes à adopter une identité basée sur la souffrance, où le masochisme joue un rôle crucial. Selon Verhaeghe, cette tendance est exacerbée par la culture moderne, qui glorifie souvent la souffrance comme une voie vers l'authenticité ou la découverte de soi. Quelques manifestations dans la vie quotidienne et le traitement en thérapie psychanalytique :
- Les relations toxiques ou destructrices : Une personne piégée dans une relation abusive ou insatisfaisante, bien qu'elle reconnaisse qu'elle souffre et qu'elle ait la possibilité de s'en sortir, est peut-être empêtrée dans une compulsion répétitive. Ce schéma répétitif, lié aux expériences d'amour et de punition de l'enfance, maintient le sujet dans une spirale de souffrance qui lui procure inconsciemment une étrange forme de satisfaction, ou de jouissance. La psychanalyse intervient dans ces cas pour démêler les racines infantiles de cette dynamique, en aidant le sujet à se libérer de cette tendance autodestructrice et à s'ouvrir à un désir authentique, au-delà des conditionnements du passé.
- Compulsion au travail (workaholisme) : Travail excessif, poussé jusqu'à sacrifier la santé physique et émotionnelle. Ce comportement peut être non seulement une volonté de réussite, mais aussi la répétition compulsive d'un modèle d'enfance où la valeur personnelle était conditionnée par la performance et l'exigence personnelle. Au fond, il y a une satisfaction inconsciente dans le sacrifice et la privation de soi, une forme de jouissance qui enferme le sujet dans une dynamique mortifère. La psychanalyse agit ici en révélant ces schémas, en permettant au sujet de reconnaître et de dépasser ces conditionnements, en ouvrant un espace pour un désir qui n'est pas lié à la souffrance auto-infligée.
- Habitudes autodestructrices : Comportements tels que la consommation excessive d'alcool, le tabagisme ou l'utilisation de drogues en dépit de la connaissance de leurs effets nocifs. Ces actes autodestructeurs ne sont pas simplement des plaisirs hédonistes, mais sont liés à une sombre jouissance, une satisfaction inconsciente dans la répétition du mal. Ce cycle peut s'enraciner dans des dynamiques infantiles de punition et de culpabilité, perpétuant une souffrance vécue comme inévitable. Grâce à la psychanalyse, ce nœud inconscient peut être démêlé, permettant au sujet de se libérer de la compulsion autodestructrice et de trouver la voie d'un désir plus sain.
- La procrastination chronique : La procrastination chronique, en particulier lorsqu'elle conduit à des situations de stress et d'anxiété élevés, peut être considérée comme une compulsion de répétition. Dans ce cas, le sujet répète un schéma de retard et d'auto-sabotage qui, bien que douloureux, lui procure une satisfaction inconsciente. Cette jouissance de la souffrance peut être liée à des expériences infantiles où la satisfaction des attentes des autres générait une angoisse insupportable. La psychanalyse, dans ces cas, travaille à démasquer ces dynamiques et à libérer le sujet de ce piège, lui permettant d'agir à partir d'un désir authentique et non d'un cycle répétitif d'auto-sabotage.
- Répétition des erreurs dans la vie amoureuse : Une personne qui choisit continuellement des partenaires inappropriés, répète des schémas de déception et de rupture. Ce cycle n'est pas simplement une série de mauvais choix, mais une répétition inconsciente des dynamiques de l'enfance liées à l'amour, au rejet et à la souffrance. La jouissance dans ce contexte se manifeste comme une étrange satisfaction dans la confirmation d'un destin d'échec amoureux. La psychanalyse aide le sujet à déterrer les racines de ces répétitions, libérant son désir de ces chaînes inconscientes et lui permettant de rechercher des relations plus saines et plus satisfaisantes.
Les manifestations du masochisme dans la vie d'une personne peuvent être variées et complexes, et au-delà des exemples cités ci-dessus, chaque cas est unique et peut répondre à des raisons différentes, qui sont explorées et analysées dans le cadre de la thérapie. De l'autodestruction physique à la répétition de schémas d'échec et de relations destructrices, ces comportements reflètent une lutte intérieure centrée sur une souffrance qui, paradoxalement, apporte une forme de satisfaction. Le psychisme tente encore et encore de résoudre les situations traumatiques, comme une machine cybernétique qui doit résoudre un problème en suspens. Le sujet se sent pris au piège. Chaque répétition est une tentative de résolution, il y a une satisfaction dans la tentative elle-même.
Dans la thérapie psychanalytique, l'approche de ces comportements varie en fonction de leur origine. Lorsque le masochisme est lié au surmoi et à ses mandats sadiques, le traitement peut être avancé grâce à l'« association libre » et à l'« interprétation symbolique ». Ces méthodes permettent d'explorer et de démêler les dynamiques conscientes et inconscientes que le moi peut être amené à reconnaître. Cependant, lorsque le masochisme est plus profond et lié à la « pure pulsion de mort », le traitement nécessite une approche différente, au-delà des capacités du moi conscient. C'est là qu'interviennent les « constructions en psychanalyse », un outil que Freud a développé spécifiquement pour traiter les manifestations qui résistent à l'interprétation directe et qui sont profondément enracinées dans l'inconscient. En travaillant directement sur l'inconscient et pas seulement sur le moi, comme le font d'autres théories. La psychanalyse devient le moyen le plus efficace de briser les schémas de conditionnement, permettant au sujet de se libérer des liens de sa structure psychique et d'accéder à un désir plus authentique, libéré des compulsions autodestructrices.
L'être humain est-il donc masochiste ? Selon Freud et Lacan, il y a une dimension de notre psyché qui l'est certainement. Ce penchant pour la souffrance et l'autodestruction n'est pas un choix conscient, mais une pulsion profondément ancrée dans les fondements mêmes de notre structure psychique. La thérapie psychanalytique offre des moyens de travailler sur ces aspects, de travailler sur la jouissance et ses tendances en générant un renversement vers le désir. Une jouissance en faveur de la vie
Des points de vue contemporains, comme celui de Paul Verhaeghe, suggèrent que ces tendances masochistes peuvent être exacerbées par les conditions culturelles actuelles, ce qui ajoute une couche supplémentaire de complexité à la façon dont nous comprenons et traitons ces manifestations dans la clinique. En résumé, les êtres humains ont une relation ambiguë et complexe avec la souffrance, une relation qui défie notre compréhension et nous oblige à repenser nos idées sur le plaisir, la douleur et la poursuite du bonheur.
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