Comprendre toutes les violences intrafamiliales

La violence peut prendre plusieurs visages. Elle n'est pas uniquement physique. Il est difficile de faire la preuve de la violence subie par une victime lorsque les traces de cette violence semblent invisibles.

25 OCT. 2024 · Lecture : min.
Comprendre toutes les violences intrafamiliales

Lorsque l'on aborde le sujet des violences intrafamiliales et conjugales, il est important de comprendre que le visage de ces violences peut être multiple. La définition reproduite dans le livre de Valériane Theys intitulé « Violences conjugales. Comprendre l'emprise pour s'en libérer » peut nous éclairer. Je propose de nous appuyer sur le travail de cette experte pour nous éclairer. Selon Valériane Theys, les violences conjugales sont « l'ensemble de comportements, d'actes, s'attitudes d'un des partenaires qui visent à dominer et à contrôler l'autre. Ce sont des agressions, des menaces, qu'elles soient physiques, verbales, sexuelles, ou même économiques qui portent atteinte à l'intégrité de l'autre. Cela touche aussi les autres membres de la famille, dont les enfants. »

À la lecture de ces pages, on comprend que c'est un rapport unilatéral de pouvoir sur une personne avec l'intention de la dominer. Une action qui persiste avec un impact destructeur sur l'environnement de la victime comme son travail, ses relations amicales et familiales, ses activités personnelles. C'est une relation toxique lorsque l'un des deux partenaires ne se sent pas libre d'être lui-même, ni libre de ses mouvements et qu'il se sent coincé dans la relation. Les relations toxiques sont plus visibles de l'extérieur que de l'intérieur. Un jeu de pouvoir se met en place progressivement. Les deux individus qui constituent la relation craignent de perdre le lien. Cette peur engendre l'acceptation du contrôle par l'un et l'utilisation du contrôle par l'autre. L'une des phrases qui pourraient définir ce que vivent les victimes est la suivante : « Quand j'étais sous emprise, j'autorisais ce qu'il me faisait subir sans m'en rendre compte. »

Avec une notion d'absence de conscience de ce qui se joue dans la relation dite « amoureuse » avec l'autre. Les médias rapportent bien souvent les récits des violences physiques qui peuvent amener l'agresseur à provoquer des blessures graves pouvant aller jusqu'à la mort de sa victime. Les actes de violences sont très divers. Ils sont plus faciles à définir lorsqu'ils sont visibles. Ces actes ne sont pas seulement physiques.

La violence physique

La violence physiqueest la forme de violence la plus repérable par les traces de coups que l'agresseur peut laisser sur le corps de sa victime. Des marques qui peuvent être constatées par des amis, des collègues, par des experts puis en justice lorsque la victime décide de porter plainte. Mais la violence physique ne laisse pas toujours des traces. L'agresseur peut infliger à sa victime des bousculades, des gifles, des coups de poing, des coups de pied qui ne laissent pas toujours de marques sur le corps. La violence physique peut aussi être plus grave lorsqu'une arme est utilisée, comme une arme blanche ou un objet contondant qui laisse des séquelles inesthétiques et éventuellement fonctionnelles sur la victime. Dans certaines situations, l'agresseur peut mordre, griffer sa victime ou encore tenter de l'étrangler, de la brûler notamment avec des cigarettes. C'est le cas de Soraya lors de sa relation avec son ex-mari. Ce n'est qu'une partie de la barbarie subie par Soraya durant de nombreuses années. Une manière de marquer le corps de façon indélébile, comme une empreinte sur le corps de sa conjointe, de son épouse.

L'emplacement des traces sur le corps est aussi important. Les traces de violence se voient par des personnes extérieures lorsque les lésions se retrouvent au niveau du visage ou du cou. L'agresseur peut atteindre les organes des sens, le regard, l'odorat, l'ouïe. Il peut aussi faire taire sa victime en la frappant au niveau de la bouche, de la mâchoire ou du cou, pour ne plus l'entendre et pour la défigurer. Les victimes tentent souvent de dissimuler les conséquences physiques des violences en se maquillant, en portant des lunettes de soleil, en arrangeant leur chevelure, en portant des vêtements longs. Elles éprouvent souvent de la honte face à cette violence subie au contact de leur conjoint. Elles tentent souvent de cacher ces traces par peur de leur agresseur ou afin de protéger l'équilibre familial qu'elles tiennent préserver, souvent pour leurs enfants. Elles expliquent, dans tous ces cas, leurs lésions apparentes par des causes qui n'ont rien à voir avec la violence conjugale. Selon ces victimes, elles seraient tombées ou elles se seraient cognées seules. Elles peuvent même mentir à leur médecin, sauf lorsqu'elles décident d'obtenir un certificat médical descriptif des lésions qui leur permettra éventuellement de déposer plainte ou de justifier une demande de divorce. Les violences physiques infligées par les agresseurs consistent aussi dans les menaces mais aussi dans le fait de dégrader les affaires et les papiers personnels de la victime, de détruire les cadeaux, les objets préférés de sa conjointe, de brûler à la cigarette le nouveau manteau, le fruit de grandes économies.

Ce qui est infligé à un objet peut l'être à l'intégrité physique de la victime. La séquestration et la mise à la porte du foyer conjugal sont aussi des violences physiques. Les privations et les confiscations ne se voient pas en dehors du cadre conjugal.

La violence sexuelle

La violence sexuelle est la plus difficile à prouver par la victime. C'est aussi la violence conjugale la plus courante. C'est le cas notamment du viol. L'agresseur éprouve l'envie d'un rapport sexuel mais sa conjointe n'en a pas envie. Il insiste, puis se fâche, elle finit par céder, juste pour avoir la paix. Peu lui importe l'absence de désir de sa compagne. Il est indifférent à l'autre. Il ne pense qu'à son propre plaisir sans se soucier du consentement de sa conjointe. Sans s'inquiéter des larmes qui coulent sur son visage pendant l'acte sexuel. Et si elle lui fait part ensuite de sa douleur, il relativise l'abus qu'il lui impose. La victime ressent alors de l'humiliation et de la honte. L'agresseur n'a pas toujours conscience de sa faute. Il est persuadé qu'il ne s'agit pas d'un viol mais d'un rapport normal, habituel, qui fait partie du devoir conjugal. Il se convainc d'être dans son bon droit.

D'ailleurs, le viol conjugal n'existe pas pour beaucoup, notamment dans certaines cultures au sein desquelles la femme doit répondre, sans réfléchir, à l'attente et aux désirs de son conjoint, de son mari. Les réconciliations « sur l'oreiller » après une altercation, après un conflit, à la suite d'un acte de violence physique peuvent aussi être définies comme des viols. Car cette forme de relation sexuelle peut davantage être considérée comme une punition et non comme une réconciliation.

La violence sexuelle est fréquente dans les couples où s'exercent de la domination et de l'emprise. Nous reviendrons sur ces concepts tout au long de ces pages. Ce sont des rapports sexuels imposés, parfois sans violence physique mais sans consentement non plus. Parfois, l'agresseur filme les relations sexuelles et menace de les diffuser sur internet. Il arrive également que les agresseurs obligent leur conjointe à se prostituer.

La violence psychologique

La violencepsychologique est la forme de violence la plus fréquente, la plus destructrice, la plus difficile à supporter et la plus difficile à détecter. Elle est souvent invisible pour l'environnement, pour la famille et les proches, pour les collègues de travail.

Cette forme de violence ne laisse pas de traces sur le corps. Elle se manifeste par la manipulation, l'intimidation, la disqualification, la dévalorisation. La victime est humiliée, ridiculisée, parfois infantilisée. Elle perd progressivement l'estime de soi. L'agresseur dénigre ainsi les compétences de sa conjointe, ainsi que toutes ses capacités, comme ses capacités personnelles, relationnelles et professionnelles. La victime subit les injures et les insultes de la part de son conjoint, tout comme des menaces d'abandon, de suicide, de meurtre. La peur est omniprésente.La violence psychologique peut aussi se manifester par de l'indifférence, par le silence assourdissant imposé par le bourreau. Il s'agit d'une violence passive, où plus rien n'est adressé à l'autre, ni regard, ni parole. L'agresseur ne la voit pas, ne l'entend pas, ne lui parle plus. La violence s'impose dans un climat insécurisant afin que la victime réponde aux caprices de l'auteur. La menace plane constamment au-dessus de sa tête. Celle-ci lutte pour que ne pas faire empirer la situation.

La violence sociale

La violence sociale est une autre forme de violence.L'agresseur isole progressivement sa victime, la sépare de sa famille, de ses amis, de ses connaissances, de ses collègues, de son travail. La victime ne doit se consacrer qu'à son conjoint qui est jaloux et possessif. Il peut aller jusqu'à la séquestration. La victime n'a plus personne à qui parler, à qui se confier. Elle est de plus en plus dépendante de son partenaire, qui lui confisque son téléphone, son ordinateur, sa voiture. Il surveille tous ses échanges, tout ce qui pourrait être adressé à un autre, ce qui lui est intolérable. La victime s'enferme progressivement dans une prison, avec peu d'interactions vers l'extérieur.

La violence économique

La violence économiquevise à rendre la victime dépendante également sur le plan économique, pour qu'elle ne travaille pas ou plus. C'est le moyen de la priver d'argent, de vérifier les comptes, ou de lui confisquer son salaire. Pour contrôler sa victime, l'agresseur peut faire en sorte que ses ressources financières soient limitées, qu'elle n'ait plus les moyens de se procurer ce dont elle a besoin ou ce dont a besoin la famille, sans son conjoint.

L'agresseur s'occupe des ressources du ménage, prend toutes les décisions quant à la gestion de l'argent et des biens de la famille, sans en avertir sa victime.Il peut également spolier sa victime, dilapider ses biens, l'assujettir financièrement. La victime n'a plus aucune autonomie.

La violence administrative

La violence administrative consiste en la confiscation de documents : carte d'identité, passeport, livret de famille, carnet de santé des enfants, carte vitale, diplômes. Cette violence limite ou interdit toute tentative d'échapper au conjoint violent. Un moyen supplémentaire dans le but d'enfermer la victime.

La violence au quotidien

De nombreuses victimes vivent au quotidien avec ces signes de violence plus ou moins visibles, mais pleinement destructrices. Dans le livre intitulé "Je regarde la vie - Survivre aux violences quotidiennes" et publié aux éditions Amalthée, Soraya a plongé progressivement dans une violence aux visages multiples imposée par son amoureux qui deviendra son mari mais aussi son bourreau. Son histoire démontre que l'amour et la violence peuvent s'installer insidieusement dans le couple et cohabiter dans un quotidien balayé par la violence pulsionnelle d'un homme. Derrière le déguisement du prince charmant se cachait un homme destructeur qui s'est installé dans l'addiction à la domination sur son épouse, dans la dépendance à la violence. Une forme de jouissance fondée sur la domination, puis sur la destruction de celle qui ne cherchait qu'à être heureuse avec celui qu'elle considérait comme son héros.

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Écrit par

Eric Coutard

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Bibliographie

Valériane THEYS, Violences conjugales – Comprendre l'emprise pour s'en libérer, 2022

Eric COUTARD, Je regarde la vie - Survivre aux violences quotidiennes, éditions Amalthée, 2024

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