La théorie de la pensée de Bion et ses liens avec la psychosomatique relationnelle et la médiation corporelle
Symptôme et processus à la fois, la pensée est au cœur de la psychanalyse et de toute psychothérapie. On ne peut faire l'économie de comprendre ce qu'est la pensée...
Idées délirantes, idées de persécution, paranoïa, jalousie, impressions que l'on pense du mal de soi, sentiment d'impasse et de conflit, difficulté à choisir, pensées intrusives, hyperactivité, arborescente, emprise de la pensée, pensée clivée ou dissociée ou pensée débordée par l'émotion, pensée opératoire, pensée onirique, pensée projetée sur le psy, déplacée -phobie d'impulsion -, ruminations dans le toc – pensées verbalisée – « je souffre » – pensée somatisée, pensée du psy, son contre – transfert, la liste des destins de la pensée est longue en thérapie individuelle mais aussi dans le couple, en famille, au travail etc. (difficultés à communiquer, à comprendre et se faire comprendre avec la frustration que de ne pas se sentir compris. La pensée est dans tous nos liens.
Magique, positive, concrète, symbolique, intrusive, creuse, délirante, dissociée etc… la pensée n'est pas exclusive au langage mais se déploie dans le corps. Symptôme, somatisation, passage à l'acte en sont ses expressions. On ne peut faire l'économie de comprendre ce qu'est la pensée avec son origine et ses étapes si l'on veut comprendre ce qu'est une psychothérapie.
Symptôme et processus à la fois, la pensée est au cœur de la psychanalyse et de toute psychothérapie.
Je vous propose, dans un premier temps, d'évoquer la théorie de la pensée chez Bion et, dans une seconde partie, son intérêt en la médiation corporelle et en psychosomatique relationnelle.
Comment définir la pensée ?
Pour le Larousse, il s'agit d'un processus psychique. De quoi s'agit-il plus précisément ? Avec la pensée, on est au contact de quelque chose ou quelqu'un : on peut se souvenir, imaginer ce qui n'est pas réel, ce qui n'est plus et pas encore.
La pensée est aussi, toujours pour leLarousse, un ensemble d'idée c'est-à-dire « ce qui définit les concepts entre eux ». Pensare en latin signifie peser, apprécier, estimer. Avec la pensée on peut avoir une opinion, croire comme vrai ou non vrai. Se rapprocher des sens de penser de réfléchir permet d'affiner la définition de la pensée. Les deux verbes sont en effet très proches sans être tout à fait synonymes et cette comparaison permet déjà de souligner l'importance de la dynamique projective contenue dans l'activité de penser.
Enfin, penser est l'homonyme de panser, qui vient de pensare en latin, qui signifie soigner une plaie, apporter une consolation, adoucir. Un bon soin, un confort que l'on va retrouver dans le processus non pathologique de la pensée.
La pensée s'inscrit donc littéralement d'emblée autant dans la représentation que dans la liaison, au sens de relation ainsi que dans le mouvement projectif. C'est cette même double inscription que nous verrons aussi au niveau psychanalytique.
Comprendre le processus de pensée avec Bion
Les processus de pensée sont depuis toujours une préoccupation majeure pour les psychanalystes.
- Freud
Les destins des processus de pensée seront la préoccupation majeure en métapsychologie avec une réflexion axée le travail d'encodage de la pensée. Pour Freud, dans l'Interprétation des rêves (1900), le désir est à l'origine de la pensée en agissantsur la réalité externe afin d'obtenir une satisfaction.[1] La méthode dont il est à l'origine, la libre association, aura pour but de rendre compte de cette construction psychique avec l'importance de la pensée dite régressive au cours des séances.
Avec Mélanie Klein, la question de la pensée occupe une place centrale autour de l'activité psychique fantasmatique comme constitutive des premières étapes de la pensée et des étapes du développement de l'enfant. La pensée prolonge l'activité pulsionnelle et Mélanie Klein en précise sa relation avec l'objet, par les différentes étapes par lesquelles passe le bébé. Lors de ce processus, entre position schizo-paranoïde et position dépressive, haine, destructivité, culpabilité et réparation, la perte et la construction sont liées.[2]
Winnicott mettra l'accent que le fait que cet objet doit être « suffisamment bon [3]» pour que puisse se construire correctement la pensée de l'enfant dans l'acceptation de ce qui est vrai et faux, soi et non soi et progressivement se séparer pour exister. L'objet transitionnel en est une étape.
On peut déjà noter ici l'importance de plus en plus accrue au corps et notamment à la peau dans la pensée psychanalytique.
Tout se co-construit entre l'adulte et le bébé dans un croisement entre un dedans et un dehors.[4]
Pour Esther Bick la fonction contenante est d'abord exercée du dehors avant d'être intériorisée par l'enfant. La méthode de la pratique de la visite à domicile qu'elle met au point est centrée sur les représentations des projections parentales sur l'enfant et permet un dépistage précoce de tous les dysfonctionnements relationnels précoces.
Dans ces situations, le processus pathologique a souvent figé toute capacité de penser et de communiquer (au sens de créer des liens)[5].
Notons, plus tard, les travaux de Didier Anzieu sur Le Moi-Peau[6].
Didier Anzieu dans Le Moi Peau (1974) décrit l'étayage de l'activité psychique sur les fonctions du Moi Peau, la peau en tant que sac qui retient le bon à l'intérieur, limite avec le dehors et comme lieu d'échange avec autrui.[7]
Didier Houzel aborde par la suite une clinique du vide centrée sur la question du traumatisme et des dépressions maternelles et sur la question des problématiques de la défaillance des enveloppes et des contenants.
Cette question des limites évoquée par Anzieu est reprise par André Green qui considère que c'est là un paramètre essentiel pour l'établissement d'une clinique et d'une théorie de la pensée (1982).[8]
- Bion
L'originalité de la pensée de Bion est de s'appuyer sur ses prédécesseurs pour fonder le point de départ d'un questionnement nouveau.
La théorie de la pensée de Bion s'enrichie largement inspirée d'Esther Bick qui découvre que le bébé vit après sa naissance dans un monde bi-dimensionnel en deux dimensions ou plus précisément peau contre peau, sans distance et perspective, sans pensée. C'est le niveau β,un niveau adhésif[9].
Lorsqu'il se détache de ce niveau adhésif[10]il entre dans un espace psychique à trois dimensions.
Dans la terminologie bionienne, la mère transforme en éléments alpha les émotions et sensations qui mettent le bébé en état d'angoisse et qui sont projetés sur elle (appelés les éléments β bêta).
L'élément β est l'élément projeté : il est ce qui était insupportable dans le moi, non digérable (pour reprendre une métaphore de Bion). C'est un élément brut corporel et donc éprouvé et non disponible pour la pensée.
Le moyen de transformer cet élément béta brut en un élément psychique est de le confier à un élément capable de le contenir, de supporter l'impact qu'il a sur lui et de le penser enfin.
L'enfant pourra par la suite s'approprier cette fonction alpha contenante. Ce processus, comme nous le verrons plus loin, implique une identification projective.
La première activité de la pensée est l'évacuation massive d'états proto sensoriels et proto émotionnels de la part de l'enfant. Si ces évacuations (éléments β) sont saisies, accueillies et transformées par un appareil psychique qui les absorbe et les métabolise (la fonction α), elles sont peu à peu transformées en pictogramme pourvus de sens (éléments α).
L'appareil psychique de la personne qui opère ces transformations ne transforme pas seulement le chaos proto-sensoriel et proto-émotionnel en une figuration émotionnelle dotée de sens mais grâce à la répétition continue de cette opération, elle transmet aussi « la méthode » pour le faire, la fonction α.
Pour cela le psychisme de la mère étant le contenant, le réceptacle pour les émotions du bébé, la mère doit être elle-même capable de tolérer les éprouvés angoissants du bébé.
C'est ce que Bion appelle la relation contenant- contenu. Si le bébé est privé de cette relation, face à trop de souffrances et trop de frustrations, il va alors développer des défenses pour se protéger de ces expériences qui lui sont insupportables. (Exemple : défenses de type autistique), pouvant même aller jusqu'à devenir partie intégrante de sa personnalité ou de son caractère[11].
La relation, l'espace, le corps et la pensée sont des concepts qui sont liés.
La construction de la pensée
Pour Bion la pensée est faite d'étapes vers l'abstraction et qui toutes se rapportent à l'objet. L'émotion va accompagner la naissance de la pensée. La pensée n'est donc pas qu'une capacité d'abstraction mais l'expérience d'une perte dans ses étapes.
Chez Bion la pensée se rapporte à l'absence de l'objet, absence qui va de la pré-conceptualisation de l'objet à sa conception et son intériorisation par l'introjection.
Tandis que Mélanie Klein évoque la position dépressive comme essentielle au travail du deuil, Bion associe cette absence à la naissance de la pensée : l'objet interne est perdu mais retrouvé au profit de ses représentations ; pour cela le processus de liaison entre un objet interne doté d'un fonctionnement a est essentiel pour permettre l'absence de ce même objet au dehors du moi. Pour Bion la pensée est donc une absence de chose, associé au fonctionnement de la position dépressive.
La spécificité de l'identification projective est au fondement des éléments de base de la pensée de Bion.
Le devenir des éléments projetés est central dans le travail de Bion sur la pensée et ce sera le point de départ de son travail.
La mère est pour le bébé est objet contenant au sens de contenant les identifications projectives du bébé c'est-à-dire ce qu'il ne supporte pas en lui et qu'il projette sur l'objet. Notons qu'il s'agit chez Freud d'une évacuation et chez Mélanie Klein la tentative omnipotente de maitriser cet objet tandis que chez Bion l'identification projective a la valeur d'une communication consistant à rendre supportable l'insupportable.
Bion utilise le concept de Moi auxiliaire pour faire le travail de réduction émotionnelle que le Moi du bébé ne peut pas encore faire seul.
Le psychanalyste fait d'ailleurs ce même travail de départ c'est-à-dire reconnaitre ces éprouvés qui ne lui appartiennent pas mais que le patient projette sur lui.
L'objet n'est donc pas ce qui est projeté sur lui (au sens d'une expulsion au sens freudien) mais avant tout un objet contenant.
Qu'est-ce que la projection ?
On retrouve la projection dans la paranoïa[12] (Freud, 1911) et dans la phobie (Freud 1915)[13] ; la projection expulsion en direction de l'objet les représentations que le moi ne peut pas tolérer. Un nouvel objet est ainsi créé, doté des caractéristiques des éléments projetés et d'autre part, enclin à retourner vers le moi, mais à partir de dehors, ce que fut réalisé au-dedans. L'objet est habité par les projections du moi au point d'en incarner au dehors les caractéristiques. Mélanie Klein change pour cette raison le terme de projection en 1946[14] en terme d'identification projective.
Dans la projection, l'objet est passif et se laisse transformer par le contenu de la projection.
Dans l'identification projective, l'objet peut conserver ses caractéristiques propres, c'est là la différence majeure entre les deux concepts. C'est un processus à deux temps : d'une part la projection (des éléments non désirables par le moi) ET d'une identification narcissique aux qualités désirables de l'objet, objet dont il désire acquérir les qualités.
Il s'agit de la transformation des éléments β en éléments α, grâce à la fonction α de l'objet.
Si l'objet est juste envahi par les éléments projetés et qu'il est défaillant, il deviendra un objet défaillant sur laquelle l'identification se fera.
Bion nomme « une peur sans nom »[15] ce à quoi l'objet n'a jamais pu donner un nom .
C'est la fonction α qui transforme le non symbolisable en symbolisable, le non pensable en pensable. Bion nomme l'activité du fonctionnement α « rêverie ».
Par ce processus, l'élément β devient un élément α.
L'enfant introjecte alors non pas l'élément β projeté mais ce même élément transformé en α ; outre sa possession, le moi introjecte l'objet qui a été capable d'effectuer cette transformation : il introjecte AUSSI son fonctionnement.
Après la transformation des éléments β en des éléments α, le moi peut effectuer seul cette transformation.
Ce moi enrichit de ce fonctionnement lui permettra le moment venu d'accomplir seul la tâche que l'objet a déjà accomplie pour lui.[16]
Freud évoquera une double censure qui ne permet aux représentations de choses de se faire un chemin vers le conscient qu'à condition qu'elle se lient à des représentations de mot, permettant de passer du non symbolisable au symbolisable.[17]
L'appareil à penser les pensées
Bion propose le modèle PS position schizo-paranoide⬌D Dépressive à la capacité de penser les pensées.[18] Il affirme l'antériorité des pensées sur l'appareil permettant de les penser.
Ce modèle est fait d'étapes, du plus concret au plus abstrait, du corporel non inscrit dans un processus de liaison symbolique.
Pour cela il construit une grille avec des lignes (pour l'observation de l'action) et des colonnes (pour la pensée aboutissant après réflexion à une mise en acte). Leur croisement est le point d'aboutissement d'une élaboration conceptuelle.
La psychosomatique peut être pensée à partir de cette grille.
L'appareil à penser les pensées peut être comparé au fonctionnement des associations libres avec un pont qu est fait par l'analyste entre deux pensées pour qu'il en émerge un sens inconscient-pré conscient-conscient
Bion élabore aussi une théorie de ce qui détruit la pensée avec « l'inversion du fonctionnement α » de α à β : il n'y a plus de capacité de liaison. Nous ne sommes plus dans le modèle PS ⬌D mais dans une position PS ⬌PS schizo-paranoïde pathologique.
La grille de Bion
Pour traduire l'évolution de la pensée émotionnelle qui se transforme en connaissance avec des éléments de plus en plus élaborés, il construit sa grille qui prend forme dans Eléments de Psychanalyse en 1963.
Pour son utilisation il insiste d'abord sur le fait que l'observation est importante.
La grille se remplit sur deux axes.
- L'axe horizontal :
L'axe horizontal de 1 à 6 correspond aux différents usages qui peuvent être faits des pensées[19].
- Psi :
Il s'agit ce qui bloque la dynamique, les résistances que Bion nomme l'anti-connaissance (de l'analysant, le contre transfert de l'analyste).
- Notation :
Il s'agit de la prise de note durant la séance, sensorielles selon Bion.
- Attention :
C'est la colonne de l'attention flottante, l'inconnu, la rêverie. C'est la case la plus ouverte.
On peut croiser cette case avec le cadre proposé par Esther Bick dans l'observation des bébés dont la méthode oblige l'observateur, dans une situation quasi expérimentale, à être seulement là en « receveur » et à « se laisser simplement emplir, déverser en soi etc » et à développer une aptitude à simplement recevoir, donc à être un contenant. Le travail de supervision permet d'être attentif au repérage de ces interférences et de les reconnaitre tant dans les commentaires que dans les silences[20].
- Investigation :
Cette colonne, initialement nommée Œdipe regroupe ce qui a attrait à la curiosité.
- Action :
Colone du passage à l'acte, c'est aussi la colonne de la transformation des pensées en action.
- L'axe vertical :
L'axe vertical représente l'évolution de la pensée, du concret vers l'abstraction.
Les éléments β sont les élémentssensoriels de la position schizo paranoïde, qui ne sont pas élaborés par la fonction α qui les rendra digestibles en tant qu'éléments α.
Notons que les cases A3, A4 et A4 sont donc vides.
Ces éléments sont utiles à l'identification projective, à l'évacuation comme seule solution de décharge d'où les passages à l'acte.
- Les éléments C :
Ce sont des éléments α plus élaborés comme les rêves ou les mythes primitifs
- Les pré-conceptions :
Ce sont les pensées vides et en état d'attente. En ce sens tous les éléments de la grille sont des pré-conceptions.
- Les concepts :
Un concept le résultat du travail de la pensée, à ce stade la possibilité d'une abstraction
- Le système scientifique déductif : C'est la possibilité de conjonctions et d'envisager autrement les concepts.
- Le calcul algébrique :
C'est la possibilité d'un système représentatif déductif par les chiffres.
La pensée et la psychose
Pour Bion tout être humain fonctionne sur les deux registres de la pensée psychotique et non psychotique.
Pour la pensée psychotique, les mots sont pris pour une vérité absolue, les mots sont des faits sans passage par la pré-conception et la symbolisation. Ce mode de pensée se développe à l'issue d'une relation à l'objet précoce pathologique.
C'est l'analyse avec les patients psychotiques qui va mener Bion à creuser le fonctionnement de la position schizo-paranoïde.
Pour cela il fonde ses idées sur l'identification projective sur laquelle Mélanie Klein avait travaillé en 1946[21] et sur l'observation de ses patients psychotiques
Bion en 1956[22] et 1957[23]commence à décrire en détail de quoi est fait l'identification projective : « Dans la personnalité psychotique, l'intolérance et la haine de la réalité sont si intenses que le patient clive la partie de son moi responsable des perceptions haies, de sorte que l'appareil de perception se live en fragments multiples qu'il projette avec une grande violence dans l'objet, le clivant à son tour. Ces fragments de l'objet qui encapsulent un fragment du moi rempli de haine se transforment en objets bizarres. Ce qui devrait former le matériel du rêve apparait comme des objets bizarres, concrets, entourant un moi affaibli et appauvri ».
Dans la personnalité psychotique, les liens entre les objets sont vécus comme intolérables et ils sont attaqués et détruits. L'objet est ressenti comme intrusif parce qu'il n'a pas été bien introjecté.
Le bébé détruit le sein en fantasme mais il reste sans objet. De plus en plus anxieux et il se met à attaquer le lien entre les parents, représenté par le pénis. Les attaques proviennent d'un moi anxieux et envieux autant que d'un surmoi intolérant au lien. L'échec de l'identification projective normale – par manque de réceptivité de la mère aux projections intolérables de l'enfant – conduit à l'identification projective pathologique, caractéristique de la psychose.[24](1957), [25] (1959).
Nous l'avons vu, l'activité de penser nécessite une place au manque et la frustration qui vont permettre de construire une pensée de l'attente : la préconception, premier type de pensée est une pensée vide issue de l'expérience émotionnelle de satisfaction. La pensée naît de l'union d'une préconception avec la frustration, à condition que la tolérance à la frustration soit suffisante, ce qui permet ensuite le développement de l'appareil à penser les pensées. Dans le cas contraire l'expérience émotionnelle conduit à la constitution d'accrétions de stimuli qui doivent être éliminés par l'appareil psychique par l'hallucination, les troubles psychosomatiques, l'agir etc.). A cette capacité du nourrisson de supporter la frustration doit répondre, pour le destin positif de la pensée, le travail de métabolisation effectuée par la psyché maternelle qui accueille les identifications projectives du bébé, les contient et les organise en fantasmes inconscients.[26]
Les échecs de ce processus qui sont repérables dans la clinique des troubles précoces et ouvrant sur des modalités pathologiques spécifiques des états limites.[27]
Les états limites souffrent d'une coupure dans leur vie psychique qui leur procure une difficulté à se sentir exister, marqués par la déliaison psychique.
Les états limites et les psychoses correspondent à des troubles spécifiques de la pensée ET du trouble de la relation à autrui.
C'est la pensée associative de l'analyste qui va aider le patient à sortir de la dissociation entre pensée et langage[28]
La pensée du psychanalyste dans la cure : le travail avec les psychotiques et les états-limites[29]
Les cures de patients psychotiques ont pour but d'instaurer et maintenir la continuité du moi mais également de favoriser les fonctions de symbolisation tout en travaillant sur la relation, comme si le patient cherchait à communiquer par un corps à corps[30].
Les patients ont changé, les psychanalystes changent[31].
La cure classique n'est pas adaptée, la neutralité de l'analyste et son silence pouvant amener des réactions d'angoisse et l'utilisation du langage à un écueil puisque nous l'avons vu, il y a au niveau du langage des lacunes associatives et un monde bi-dimensionnel en deux dimensions sans distance et perspective ou penser n'est pas possible.
Dans ces conditions, l'analyste doit tout d'abord considérer son contre-transfert ou plus précisément dans sa blessure contre transférentielle une butée au processus analytique. Il est donc nécessaire qu'il s'adapte et modifie le cadre, interne et externe. Pour répondre au vide que le patient ne peut penser, la seule solution est de lui offrir l'image de l'élaboration.
Il n'y a qu'une chose à faire avec le contre transfert, c'est de l'analyser, non de l'utiliser, en espérant qu'il ne vous utilise pas trop.[32]
Il s'agira de nommer les ressentis béta du patient et de les lui renvoyer élaborés et moins terrifiants.
La pensée de Bion en psychosomatique relationnelle
- Les émotions
Nous l'avons vu avec Bion, les éprouvés sensoriels béta sont insupportables.
Le corps peut être anesthésié (exemple le seuil alexithymique) sur certains affects au niveau des sensations toute comme il peut être totalement débordé par les émotions sans être capable de les exprimer en mettant un lien avec leurs origines (exemple : l'agoraphobie où l'espace est totalement hanté par les projections de la personne).
Les émotions sont à la frontière du psychique et du somatique, entre les éprouvés beta et les éléments élaborés et pensés alpha.
A mi-chemin du psychisme et du somatique, la théorie de psychosomatique relationnelle vise à l'appropriation de son corps et à sa construction subjective.
- Circularité, conflit et inter-psychique
La méthode de la psychosomatique relationnelle vise à la capacité à élaborer sur les situations conflictuelles pour pouvoir les dépasser et les transformer.
Son outil, la médiation corporelle permet justement de repérer les points de tension et de résistance en partant du corps réel avec l'exploration corporelle pour aller vers un corps imaginaire, le non lien faisant défaut à la fonction imaginaire.
Elle s'intéresse (comme Freud) au conflit intra psychique mais avec la spécificité de partir de l'inter-psychique. Pour la psychosomatique relationnelle, c'est grâce à l'inter qu'on comprend l'intra. Rappelons que la réalité correspond à notre vision et non à la réalité physique : on ne peut pas séparer la résonnance avec l'histoire de la personne, on projette quelque chose de nous sur le monde par une fonction projective.
Cet intra-psychique se glisse en effet au fil du temps dans l'intersubjectivité, intersubjectivité qui se perçoit en rapport avec l'autre et le monde.
Progressivement acquérir des capacités à élaborer des situations conflictuelles encore présentes, auxquelles il participe encore et qui l'ont façonné[33].
Un des axes majeurs de la psychosomatique relationnelle est de dynamiser la circularité.
Pour Freud, le symptôme a une cause linéaire (entre le conflit psychique et le symptôme) mais il est possible de le penser autrement : de façon circulaire.
Cette circularité s'oppose à la causalité avec le corps (pathologie), le fonctionnement adaptatif (avec la somatisation et le conflit ou l'impasse avec le maintien du refoulement - exemple on ne rêve pas et on tombe malade-) et la situation relationnelle. Le corps est le point de départ et le point de retour.
Si le corps est le point de départ, il s'agit du corps comme un objet d'apprentissage, considéré pour son pouvoir de projection c'est-à-dire en tant que schéma de représentation qui découpe un dedans et un dehors avant d'introduire la troisième dimension (…). La psychosomatique utilise la projection sensorielle, avec comme point de départ la sensorimotricité, pour développer la projection fantasmatique dont l'expression la plus aboutie est l'activité onirique (…) [34].
Nous retrouvons ici le passage de la bi-dimensionnalité qui va cristalliser la défaillance de la fonction de symbolisation à la tri-dimensionnalité bionnienne qui permet de redonner au symptôme sa propre représentation.
Le psychosomaticien relationnel va passer d'une directivité avec l'apport d'un cadre contenant et structurant à une non-directivité. Bien sûr la position du psy est variable en fonction des personnes et évolutive pour ne pas mettre le sujet en difficulté.
- La subjectivation
Un des axes majeurs de la psychosomatique relationnelle est d'amener la subjectivation et plus précisément d'amener à relancer une dynamique de subjectivation à partir du corps : il s'agit de dynamiser les ressources avec la fonction imaginaire (le jeu, le rêve et l'affect) en partant du corps propre et en allant de la projection sensorielle vers la projection fantasmatique et la subjectivation.
« Il ne s'agit pas d'une reprise consciente du sujet de sa propre subjectivité c'est-à-dire à une subjectivité « objectivée » mais d'une véritable constitution de soi en tant que subjectivité et rappelle que l'attitude du thérapeute consiste à recevoir sans déformer l'autre en n'enfermant pas sa réalité dans un système de connaissance, en ne projetant pas un savoir sur lui[35].
L'objectif est de relancer une véritable dynamique de subjectivation à partir du corps propre en tant que structure spatiale dotée d'un pouvoir originel de projection d'abord sensorielle puis fantasmatique ; il s'agira de favoriser un espace corporel unifié (par-delà les ruptures du traumatisme) afin d'accéder à une activité de synthèse par un abord réflexif et expérientiel inclus dans une relation intersubjective, nécessaire à l'apparition du corps propre (histoire affective), fondement de l'activité de représentation et de l'espace imaginaire (le corps propre considéré comme le shème de tous les shèmes).
Le thérapeute va accompagner le sujet à se relier à ses potentialités sensorielles et émotionnelles (identifiation, expression), affectives (intersubjectives, intercorporeité) et imaginaires (oniriques). La dynamisation de la circularité va restaurer un lien fondamental entre ls différents pôles du trépid psychosomatique : fonctionnement- situation relationnelle conflictuelle – pathologie.[36]
- La projection sensorielle
Pourquoi le corps ? D'abord c'est à partir du corps que se déploient les éprouvés archaïques.
Le corps qui s'engage dans cette médiation en psychosomatique relationnelle est un corps doté d'un pouvoir de projection et considéré dans ses capacités sensorimotrices dont la perception guide ses potentialités d'action ainsi que l'ensemble de la cognition[37].
L'espace corporel est perçu en psychosomatique relationnelle comme espace onirique et un espace d'actualisation des conflits.
Pour cela, la psychosomatique relationnelle utilise le corps comme médium.
« Le corps garde la trace des situations conflictuelles qui ont dévié ou fait obstacle au développement du sujet : une trace sur laquelle la relation thérapeutique exerce un pouvoir de résolution et de transformation [38]»
Elle va introduire progressivement un processus de différenciation, au travers d'un schéma dynamique d'exploration dans une position au départ confortable donc sécure (par exemple une position appuyée contre un mur) avec l'exploration tonico sensorielle pour accéder ensuite à une proposition de schéma plus dynamique durant lesquels se déroulent un processus subjectif avec :
- 1 le schéma dynamico sensoriel
Dans le parcours tonico sensoriel c'est l'exploration des différentes sensations du corps pour développer la conscience du corps avec des repères, avec les limites dedans- dehors, haut-bas, droite-gauche etc. (Rappelons que le psychotique a un problème de limite du corps suite à la bi-dimentionnalité archaïque non dépassée). Il s'agit de prendre en compte de la difficulté de se couper et de la rupture de l'arrière-plan émotionnel pour réassocier le schéma corporel. Après la séance, le partage du vécu permet de faire des liens et de donner sens. La médiation corporelle est ainsi perçue comme une aire de jeu au sens winicottien, favorisant le passage du corps réel fait de perception au sens imaginaire fait de projections, vers un corps plus figuré.
- 2 l'imaginaire sensoriel, lorsqu'on met des images sur les perceptions, une sensation agréable. On se détache plus du corps en se préparant à l'imaginaire fantasmatique puis onirique[39]
- 3 la relaxation vise à produire un état de détente et le thérapeute est dans une position maternelle suffisamment bonne induisant un état régressif chez le patient
- 4 la relaxation et la visualisation,
- 5 La symbolisation et l'identité pour une centration de l'attention sur soi
La psychosomatique relationnelle aborde largement le fonctionnement adaptatif dans lequel le rapport à soi est problématique. Certains n'existent qu'avec un cadre qui les structurent d'autres évitent le conflit.
Le modèle adaptatif se réfère à un modèle appris et reproduit avec une prévalence de la pensée rationnelle (concrète). C'est un fonctionnement en double. On est dans le conformisme. Le choix n'existe pas, tout vient de l'extérieur. Le problème est quand l'autre faiblit ou disparait…
« Le corps propre apparaît comme un pouvoir primordial de projection dont les effets structurants sont décelables dans le domaine de la perception et de la mémoire, au niveau conscient et inconscient de l'inscription des évènements ».
Pour conclure, avoir un corps, c'est avoir un espace. Pour avoir cet espace, il faut qu'il ait été créé. Un espace d'où l'on distingue un dedans et un dehors, c'est-à-dire dans un espace de relation identificatoire, entre un réel et un imaginaire. Un espace psychique différencié de la mère. La maîtrise de l'espace est la maîtrise de l'identité et de la capacité de penser.
Comment travailler en psychothérapie ?
Il est parfois impensable de pouvoir utiliser le divan. Pourtant, bien sûr, « la psychose est, pour Freud, absolument fondamentale. La psychose est ce devant quoi un analyste de doit reculer en aucun cas »[40] mais créer un nouveau champ de possible, la psychosomatique relationnelle en fait totalement partie.
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