Les conséquences psychologiques du confinement
Comment nous avons réagi psychologiquement au confinement imposé par notre gouvernement suite à la crise du Covid 19 : les avis de plusieurs spécialistes.
De nombreux professionnels liés aux domaines de la psychologie, de la psychanalyse et de la psychiatrie ont alerté les pouvoirs publics sur les conséquences des mesures gouvernementales dès le début de la pandémie de la Covid19, en particulier sur le confinement.
Le point de vue des professionnels de la psychologie
Serge HEFEZ, psychiatre et psychanalyste, thérapeute conjugal et familial et auteur de nombreux ouvrages est intervenu très tôt dans les médias, dès le premier confinement, sur les risques psychologiques liés aux premières décisions gouvernementales. Il a perdu sa mère du Covid19 alors qu'elle était en EPHAD en mars 2020. Le 4 avril 2020 dans l'émission Grand bien vous fasse sur France Inter il parlait de « déshumanisation » et de « barbarie » dans le fait qui consistait à laisser les personnes âgées atteintes du Covid sans les visites de leur famille et affirmait qu'il y avait là « une grave erreur psychologique à laisser le choix aux familles entre mourir de désespoir ou mourir du Covid ».
D'autres de ses interventions souligneront le danger du « huis-clos » familial pour les couples et les familles dysfonctionnelles qui peuvent laisser libre cours à la violence sans témoin.
Dans une visioconférence du 28 janvier 2021, initiée par Les Séminaires psychanalytiques de Paris sur les conséquences psychiques de la Covid19 et adressée à des professionnels de la psychothérapie, J-D NASIO, psychiatre, psychanalyste et auteur, souligne que les demandes de consultations, cabinets libéraux et hôpitaux confondus, ont été multipliés par 8 depuis le début de la crise et le nombre de dépressions multiplié par 3. Il distingue la « dépression Covid » de la dépression traditionnelle en cela que le « déprimé Covid » est moins atteint par la tristesse que dans une dépression classique : il est plus agacé que désespéré, et contrairement à la dépression classique, il ne se méprise pas lui-même, il méprise « les autres ». Je cite : « C'est une accumulation insupportable d'angoisse depuis le début de l'épidémie » qui la provoque. Avec le temps, l'angoissé devient vindicatif et s'épuise physiquement et moralement.
L'étude retracée du covid19 et de la détresse psychologique
De façon plus approfondie, le professeur Nicolas FRANK, psychiatre, enseignant et chercheur, a initié une étude retracée dans un ouvrage intitulé : « Covid19 et détresse psychologique – 2020 l'odyssée du confinement » édité chez Odile Jacob.
Sur son initiative et avec l'aide de plusieurs autres professionnels, un questionnaire a été mis en ligne avec l'aide du Centre ressource de réhabilitation psychosociale (CRR) qui l'a diffusé sur les réseaux sociaux. Les données ont été recueillies jusqu'à la fin de la 8ème semaine du premier confinement et ont concerné 20135 personnes dont 19784 étaient françaises, le reste se répartissant dans d'autres pays francophones.
Le profil des participants était le suivant : âgés de 11 à 99 ans, la majorité entre 30 et 54 ans, les deux tiers vivant en couple et la moitié d'entre eux sans enfants, majoritairement des cadres, suivis de professionnels de santé et d'employés. Sur cette population, 22% des personnes confinaient seules et un peu plus de 3 /4 d'entre elles l'étaient à plusieurs. Plus de 60% des personnes continuaient à travailler.
NDLR : Il est à noter que cet échantillon n'est pas totalement représentatif de la société française, parce qu'il semble comprendre plus de cadres que dans cette dernière. Le résultat est que souvent la surface des appartements annoncée, critère important pour la tolérance du confinement, est probablement aussi plus grande que dans la population générale (99,63 % vivaient dans des appartements de 30 à plus de 120m2).
Au départ, 91,26% étaient soit complètement soit assez d'accord avec le fait de confiner, mais 61,65% étaient préoccupés par le manque d'accès aux moyens de protection (masques et gel hydroalcoolique) ; 52, 26% d'entre eux craignaient des répercussions financières sur la société en conséquence de la crise.
Presque tous discutaient chaque jour avec leurs proches et la moitié d'entre s'adonnaient à une sieste quotidienne. En dehors du travail ou des études, les activités occupant plus de quatre heures par jour étaient destinées aux soins apportés aux enfants et aux activités sur Internet.
La principale difficulté exprimée mentionnait le grignotage. Concernant les facteurs permettant de surmonter la crise étaient cités en premier les répercussions positives sur l'environnement (52,26%) et la conviction d'une issue favorable (49,60%) ; 30,65% se basaient sur les connaissances scientifiques pour se rassurer, mais seulement 3,48% se rassuraient avec les médias.
La consommation d'écran avait augmenté de 69%, celle d'aliments gras de 36% (les femmes jeunes et vivant seules étant au premier plan et faisaient aussi partie des personnes qui avaient augmenté le plus leur consommation de tabac) ; enfin la consommation d'alcool avait augmenté de 18%, plutôt chez les trentenaires/quarantenaires. De façon générale, la réduction du bien-être mental s'est traduite par une augmentation de toutes les consommations, y compris de cannabis, plutôt chez les plus jeunes, le type de consommation préférentielle étant liée aux caractéristiques des personnes et à la tranche d'âge.
Sans surprise, en termes de bien-être mental les personnes en couple déclaraient avoir un meilleur bien-être que celles qui vivaient seules et plus les participants étaient âgés, meilleur était leur bien-être (NDLR : il ne s'agit pas ici bien entendu des personnes vivant en EPHAD ou très âgées, la moyenne d'âge de cet échantillon s'arrêtant à 54 ans). Les personnes vivant dans une zone urbaine, en invalidité et les agriculteurs affichaient les scores les plus faibles alors que les plus élevés étaient parmi les professionnels de santé, applaudis tous les soirs à 20h. Les conditions de surface du lieu de vie était un critère lié directement au bien être déclaré ainsi que le fait de pouvoir continuer à exercer un travail, même en télétravail. Les contacts sociaux fréquents, y compris par téléphone et sur les réseaux sociaux participaient à ce bien-être.
Le fait d'être un homme, d'avoir une partenaire et d'être plus instruit participait aussi à l'affirmation d'un meilleur bien-être. À l'inverse le fait d'avoir des enfants de moins 10 ans à la maison rendait ce taux plus faible et le fait d'être étudiant faisait baisser le score à un niveau bien inférieur du reste de l'échantillon.
Le constat global des conséquences du confinement
Le constat global de Nicolas FRANK est que le bien-être mental a évolué à la baisse durant le confinement en France et qu'il s'est traduit par une augmentation de l'anxiété de la population. Dans cet ouvrage, après avoir présenté les différents effets du stress dans des conditions de confinement telles que celles imposées aux prisonniers, astronautes et navigateurs solitaires, l'auteur définit les étapes du vécu face à un confinement de masse.
Il parle très justement d'une évolution qui part de la sidération, qui est suivie d'une phase d'adaptation puis d'épuisement. La phase initiale correspond à une perte de repère mêlée de la crainte pour sa propre survie : c'est la phase première des courses « de prévention » dans les supermarchés, en l'occurrence en France ça s'est traduit par l'accumulation de papier toilette, mais aussi d'autre produits de base, alors qu'aucun signe de pénurie n'était perceptible par ailleurs. On cherche d'abord à se protéger. C'est la raison pour laquelle autant de personnes ayant répondu au questionnaire précité adhèrent au confinement.
Après quelques jours se dessine une phase d'adaptation à laquelle correspond le moment de l'enquête présentée à savoir la durée du premier confinement. Un quotidien de « résistance » se crée pendant lequel les personnes parviennent à s'appuyer sur leurs ressources internes. La solidarité marche à plein, chacun multiplie les contacts sociaux par téléphone et différents moyens de communication, c'est le temps des apéros-skype, des appels aux membres de la famille un peu oubliés. C'est moins dur quand on a du travail et qu'on n'est pas tout seul à la maison, même si avec des enfants en bas âge toute la journée, ça peut aussi créer du stress. Les addictions peuvent augmenter mais on tient aussi parce qu'on pense que la crise provoquera une remise en question salutaire sur l'environnement, on est convaincu d'une issue favorable malgré les annonces journalières du nombre de morts et d'entrées en réanimation dans les hôpitaux (on note que seulement 2% s'appuient sur les médias pour penser positif). On s'envoie des blagues sur le confinement par WhatsApp.
Aux deux extrémités de la population, les personnes très âgées et dépendantes (qui ne font pas vraiment partie de cette échantillon) et les étudiants peinent à « tenir », les unes parce qu'elles sont privées d'un coup du contact de leurs proches, les autres parce qu'ils cumulent les handicaps : très petits logements, difficultés financières et absence de visibilité totale sur leur avenir associés au besoin intrinsèque de vie sociale à cet âge-là.
La troisième étape définie par Nicolas FRANK c'est l'épuisement qui est la dernière phase : après une période variable selon les individus de l'ordre de quelques mois, l'épuisement finit par gagner. Certes, le confinement n'a duré « que » deux mois la première fois, mais les règles contraignantes tel que le port du masque, la règle de ne pas se réunir à plus de 6 personnes, les règles de distanciation sociale et l'arrivée du couve feu, puis d'un deuxième confinement ont sabordé le moral des français. Les liens de solidarité créés au départ ne tiennent pas forcément la route, on se replie sur soi.
Nicolas FRANK insiste sur le fait qu'il est nécessaire d'avoir une clarification claire sur les mesures prises, et des étapes bien définies, (le contraire du stop and go que nous ont proposé les autorités), sinon, dit-il, il peut y avoir des actes de défi et de transgression ainsi que des mouvements de foule hostiles.
L'accumulation de nouvelles négatives assénées à haute fréquence intervient également dans l'affaiblissement du psychisme, plus que la réalité de la menace réelle de la maladie.
L'auteur précise enfin que la résolution d'une crise d'une telle ampleur ne peut intervenir avant de nombreuses années. Il craint qu'on puisse s'attendre au développement d'un grand nombre de troubles anxieux généralisés et de dépressions, dans un système de structures psychiatriques français déjà en grande tension avant la crise. Il souhaite que la santé mentale soit considérée comme la troisième priorité dans la gestion de la crise de la Covid19, après la prise en compte de l'épidémie à proprement parler et celle des conséquences économiques. Je cite : « Il est donc crucial de privilégier à l'avenir le recours aux autres mesures et d'éviter le confinement tant que faire se peut, même si le virus était amené à se répandre à nouveau. »
Boris CYRULNIK, lui, porte un éclairage différent à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage, « Des âmes et des saisons » édité par Odile Jacob. Neuropsychiatre, il soutient l'idée très développée entre autres en médecine chinoise, que le corps n'est pas d'un côté et le psychisme de l'autre. La neurologie, par l'imagerie médicale, a démontré en effet que les émotions provoquaient des réactions physiques sur l'individu. Or, dit-il, lors du confinement, on a voulu protéger le corps en provoquant une immense agression psychique. Cette interconnexion donnerait à penser, par ricochet, pour reprendre les termes de Nicolas FRANK cité plus haut, que santé mentale, épidémie « à proprement parlé » et conséquences économiques devraient être traités « ensemble » et non pas l'une avant l'autre, ou à tout le moins que la santé mentale fait partie de la santé tout court. En effet, comme indiqué aussi dans le livre de Nicolas FRANK, le stress à haute dose et/ou sur une longue durée provoque des maladies « physiques » : maladies cardio-vasculaires, pathologies auto-immunes et inflammatoires, etc… autrement dit, pour nous protéger du Covid, nous risquons des pathologies plus longues et souvent plus graves.
Je cite Marie-Estelle DUPONT, psychologue clinicienne, dont l'article sur le site du Figaro est un véritable cri du cœur :
« Enfermer de force des gens bien portants et briser leur construction de vie adaptée à leurs besoins réels et parfois déjà très complexes rend certaine l'apparition de diverses maladies et accroit la violence privée ».
L'avis général des professionnels de la santé mentale sur la pandémie
D'une façon générale, les professionnels de la santé mentale se retrouvent sur les positions suivantes :
- Le besoin intrinsèque de la présence de l'autre : le lien social n'est pas un besoin « supplémentaire » aux besoins vitaux : il en fait partie. J-D Nasio le dit très joliment en affirmant : « On a besoin de l'autre pour être soi ». Il dit aussi : « on a besoin d'agir pour être soi », c'est-à-dire être actif.
- Les contacts sociaux sont donc aussi indispensables que l'alimentation.
- L'aggravation des symptômes avec les difficultés économiques qui se rajoutent aux effets des pertes de liberté.
- Tous mentionnent la fatigue, la profonde lassitude de ceux et celles qui viennent les voir et s'inquiètent pour leurs patients.
- Enfin les pédopsychiatres ont alerté sur le port du masque pour les tout-petits : à la crèche, où les adultes portent tout le temps le masque, les petits commencent à exprimer de l'inquiétude quand on l'enlève. Plus âgés, les enfants ont des difficultés d'apprentissage de la langue.
Pour conclure sur une autre note positive, il faut rappeler que beaucoup de ces professionnels ont exprimé aussi leur croyance en la capacité de résilience de l'être humain, en leur conviction qu'il a des capacités énormes de reconstruction.
Photos : Shutterstock
Les informations publiées sur Psychologue.net ne se substituent en aucun cas à la relation entre le patient et son psychologue. Psychologue.net ne fait l'apologie d'aucun traitement spécifique, produit commercial ou service.
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ