Qu'est-ce qui ne va pas avec le soi dans la schizophrénie ? Comment ce trouble affecte-t-il

En explorant des cadres alternatifs pour comprendre la schizophrénie, cet article remet en question les points de vue conventionnels et propose des approches innovantes en matière de traitement et de diagnostic.

29 JUIL. 2024 · Lecture : min.
Qu'est-ce qui ne va pas avec le soi dans la schizophrénie ? Comment ce trouble affecte-t-il

Les médecins et les chercheurs ont longtemps considéré la schizophrénie comme un chaos fondamental de l'esprit. Cela a donné lieu à des confusions publiques de la maladie comme étant un «trouble de la personnalité multiple » ou un ensemble de comportements erratiques et décousus, tous appelés « schizophrènes ».

Ces stéréotypes et ces erreurs d'étiquetage reposent sur un noyau de vérité : les patients atteints de schizophrénie ont un sentiment d'identité perturbé. La recherche empirique sur les troubles schizophréniques a également confirmé l'affirmation selon laquelle les troubles psychotiques sont une forme de déformation de soi ou un trouble de l'identité personnelle. Des symptômes tels que les projections de pensées, la radiodiffusion et le délire de contrôle sont parmi ceux qui peuvent survenir lorsqu'un patient présente un « trouble du moi ».

Le modèle de perturbation de l'identité (IDM)

Il existe différentes théories sur les raisons pour lesquelles le moi est déformé chez les patients schizophrènes et sur la façon dont ces distorsions contribuent à la confusion et à la vaste gamme de symptômes présents chez les personnes atteintes de cette maladie.

Un nouvel article publié en début d'année examine l'une des théories les plus courantes, appelée modèle de perturbation de l'ipséité (IDM), qui est le modèle le plus connu de ce que les chercheurs décrivent comme le trouble du moi dans la schizophrénie. Dans cette théorie, un « moi minimal » est la base fondamentale de ce dont une personne fonctionnelle a besoin pour avoir un sens sain de son récit personnel et de ses relations sociales et personnelles. Le soi est considéré comme ayant une expérience subjective fondamentale qui est cruciale pour maintenir un certain degré de santé mentale, et peut inclure des préoccupations de base comme quand et comment se nourrir, avoir une bonne hygiène, et d'autres procédures de base qui impliquent la protection du corps et de l'identité de la personne.

Le modèle repose sur trois traits fluctuants : l'hyperréflexivité (conscience exagérée de soi), une « prise " ou une " emprise » perturbée (perte de perception et de stabilité dans le champ de conscience perceptif et cognitif) et une diminution de la présence de soi (diminution de l'intensité ou de la vitalité de l'identité subjective).

L'hyperréflexité fait référence à la conscience accrue des processus corporels d'une personne comme des expériences « autres » plutôt qu'interprétées comme ses propres expériences. Des processus tels que la respiration ou les sensations tactiles peuvent être ressentis comme s'ils se produisaient pour quelqu'un d'autre, et non pour le sentiment de soi qui est censé être présent dans le corps qui fait l'expérience de ces choses. En conséquence, la personne peut être incapable d'effectuer des mouvements de base, comme saluer de la main, en raison de la sur-objectivation de l'acte.

Le trouble de la préhension est un autre trait qui fait référence à la perte de la capacité à déterminer ce qui est réel ou irréel ; le sens de la réalité de la personne peut s'estomper et elle peut ne pas avoir l'impression de vivre dans une réalité partagée par tous les autres. Le dernier trait, la diminution de la présence de soi, fait référence à une diminution du sens des processus du « je ». Un patient peut dire verbalement : « Mon -Je sentiment de moi est diminué », ce qui fait référence à la capacité réduite d'être subjectivement au centre de son récit.

L'IDM est utilisé non seulement comme critère de diagnostic, mais aussi comme argument en faveur de l'idée que tous les symptômes, comme les hallucinations et les délires, découlent de cette perturbation du sentiment de soi. Mais ce modèle explique-t-il correctement ce qui se passe dans les troubles psychotiques ? Les chercheurs proposent quelques révisions.

Le modèle de perturbation de l' ipséité (identite) est-il adéquat ?

Ce modèle présente des préoccupations et des limites. L'une d'entre elles concerne la reproductibilité des méthodes empiriques utilisées pour étudier le soi. Le réseau du mode par default (DMN) est un élément fondamental de la recherche sur le soi. Il s'agit d'un réseau de régions du cerveau dont il a été démontré qu'il était actif lors de l'engagement dans des récits personnels tels que l'inquiétude excessive ou la rumination. Outre le DMN, l'IDM n'a pas autant de corrélatifs neurobiologiques capables de l'expliquer dans un contexte centré sur le corps.

L'IDM ne parvient pas à rendre compte de différents traits. L'un de ces sujets de négligence est la « coexistence ou le changement dynamique » apparemment paradoxal entre les perceptions grandioses et les rôles minimisants de l'identité personnelle. On peut avoir la folie des grandeurs tout en se sentant insignifiant si quelqu'un venait à falsifier socialement ces affirmations.

Un autre sujet négligé est « l'emprise augmentée » sur la réalité, qui rend l'individu plus enclin aux croyances et aux expériences qui peuvent sembler mystiques ou d'un autre monde. Un autre sujet de préoccupation est le sentiment exagéré ou accru de présence à soi, qui peut entraîner une paranoïa ontologique.

Le modèle de perturbation de l' ipséité (identite) est-il adéquat ?

Révisions suggérées du modèle

Les chercheurs proposent quelques révisions du modèle IDM, notamment un mouvement vers un modèle basé sur le spectre où les perceptions diminuées et exagérées de la présence de soi sont perçues comme étant en constante évolution, peut-être entre les individus, mais aussi à l'intérieur d'un même individu, lors d'événements particuliers.

Historiquement, les philosophies basées sur la TCC ont soutenu que la schizophrénie est définie en grande partie par l'incapacité du patient à raisonner. Ces révisions de l'IDM suggèrent qu'il s'agit moins d'une question de raison que d'états d'esprit fondamentaux de divers degrés de perception de la présence de soi, servant d'élément fondateur qui entraînera plus tard les symptômes psychotiques.

Le maintien de ce point de vue aiderait les cliniciens à comprendre que les états cognitifs de la schizophrénie peuvent être significatifs pour de nombreux patients ou personnes en général, ce qui, à son tour, pourrait exiger plus d'appréciation de la part des cliniciens et produire plus d'empathie au lieu d'essayer de changer ou de débarrasser les patients des réalités qu'ils vivent.

En outre, il est essentiel de souligner que si les médicaments sont une composante nécessaire du traitement de la schizophrénie, des améliorations significatives sont souvent observées lorsque la psychothérapie est également utilisée en parallèle. Les médicaments antipsychotiques aident à gérer les symptômes tels que les délires et les hallucinations, mais ils ne s'attaquent pas aux facteurs psychologiques et sociaux sous-jacents qui contribuent au trouble. La psychothérapie, principalement la psychanalyse et d'autres thérapies de soutien, peut fournir aux patients des stratégies d'adaptation, les aider à comprendre et à gérer leurs symptômes et améliorer leur qualité de vie globale.

En outre, l'association d'un traitement médicamenteux et d'une psychothérapie peut améliorer l'observance et les résultats du traitement. Les patients qui reçoivent les deux formes de traitement sont plus susceptibles de s'engager activement dans leur processus de rétablissement, de développer une meilleure conscience de soi et d'établir des relations plus saines. Cette approche intégrée cible non seulement les aspects biologiques de la schizophrénie, mais soutient également le bien-être psychologique et social de l'individu, favorisant ainsi un rétablissement plus intégral.

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Écrit par

Lorena Salthu

Formation pluridisciplinaire approfondie, 4 années de formation de conseiller psychologique (Argentine), puis 2 années de psychoneuroimmunologue (Espagne et USA), et 2 années supplémentaires en psychanalyse (France). Elle propose différents types de thérapies adaptées au rythme et aux besoins de chacun, offrant une écoute active, solidaire et empathique.

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Bibliographie

  • Feyaerts, J., & Sass, L. (2024). Self-Disorder in Schizophrenia: A Revised View (1. Comprehensive Review–Dualities of Self-and World-Experience). Schizophrenia bulletin, 50(2), 460-471.
  • Vinod Menon (2023)20 years of the default mode network: A review and synthesis.Neuron magazine Volume 111, Issue 16, 16 August 2023, Pages 2469-2487

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Commentaires 3
  • Nathalie FOLLMANN

    Réponse à LUC, Le DSM 5 seul répertoire permettant un diagnostic sur les troubles psychiques dit : "La schizophrénie est caractérisée par la psychose (perte du contact avec la réalité), des hallucinations (fausses perceptions), des idées délirantes (fausses convictions), un comportement et une parole désorganisés, une affectivité lisse (gamme des émotions réduite), des déficiences cognitives (détérioration du raisonnement et de la capacité à résoudre des problèmes) et un dysfonctionnement social et professionnel. Donc comment pouvez vous écrire que la "schizophrénie" est un concept théorique qui n'a pas prouvé sa pertinence. C'est affligeant ! Ce que vous évoquez par la suite sont des traumas de l'enfance qui peuvent se traiter effectivement par une approche psychocorporelle avec un bon praticien, mais rien à voir avec un trouble psychotique qu'est la schizophrénie qui nécessite un traitement à vie.

  • Luc

    Il me semble que: - La "schizophrénie" est un concept théorique qui n'a pas prouvé sa pertinence. - L'expertise la meilleure vient des personnes qui ont reçu cette étiquette. - Certaines de ces personnes sont guéries et sans médicaments. - Ce qui a permis leur guérison n'est pas le médicament. - Ces personnes décrivent la guérison comme la fin de la dissociation post-traumatique dont elles souffraient et dont elles n'étaient pas conscientes. - Un exemple typique est la maltraitance répétée par un parent sur l'enfant, le petit enfant ou le nourrisson. Il est impossible d'être soi face à un parent maltraitant. La dissociation permet de survivre et d'adopter le comportement et la personnalité que la personne maltraitante exige. Cette construction s'écroule ensuite chez le jeune adulte. On ne s'en souvient pas. - Typiquement la guérison chez l'adulte passe par une approche psychocorporelle et sociale en deux temps. Premier temps, renforcement des ressources de la personne: s'affirmer, savoir dire non, choisir, renforcer sa volonté, gérer ses émotions, accroitre son discernement, bien habiter son corps, bien respirer, se tenir droit, améliorer son hygiène de vie, s'autonomiser et quitter un environnement toxique. Deuxième temps, résolution des traumatismes oubliés. Concernant la TCC, elle peut être proposée sans médicament, comme cette étude le montre: "Cognitive therapy for people with schizophrenia spectrum disorders not taking antipsychotic drugs: a single-blind randomised controlled trial." Lancet. 2014 Apr 19; PMID: 24508320.

  • Nathalie FOLLMANN

    Suite à cet article, il est nécessaire d'être "très prudent" avec les troubles de schizophrénie et qu'un encadrement psychiatrique est le plus appropriée pour stabiliser par un traitement médicamenteux. L'approche hypnotique n'est pas souhaitable pour ce type d'individu, ni la psychanalyse. La TCC me semble la plus pertinente et sécurisante pour accompagner ce type d'individus. L'exploration des Etats dissociés est préférable avec un psychiatre spécialisé.

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