Qu’implique le narcissisme ?

« L’intolérance des masses se manifeste curieusement à l’égard des petites différences plus fortement qu’à l’égard des différences fondamentales. » Sigmund Freud

10 JUIN 2024 · Lecture : min.
Qu’implique le narcissisme ?

Entre 'repli, retrait et régression' et 'renoncement ou refoulement', où, comment et pourquoi se nichent les failles narcissiques ? Les termes de repli et de régression évoquent tous deux une même idée d'un retour en arrière. Freud ne les dissociera pas davantage tandis qu'aujourd'hui ils sont plus clairement distincts.

Qu’implique le narcissisme ?

On parle de repli narcissique comme un symptôme ou une manifestation pathologique, et on emploie le terme de régression pour observer une forme provisoire de modification de l'état du Moi. Freud définissait l'état de sommeil ou l'état douloureux d'un malade comme des exemples de […] « modification de la libido par suite d'une modification du Moi. »

Durant ces états, les investissements de la libido se retirent de l'objet pour se concentrer sur le Moi. Freud précise dans « Complément métapsychologique à la doctrine du rêve » que « l'on différencie deux de ces régressions, celle du développement du Moi de celle du développement de la libido. Cette dernière va dans l'état de sommeil jusqu'à l'instauration du narcissisme primitif, tandis que la première atteint le stade de la satisfaction hallucinatoire du désir », et il rajoute que « à la suite d'une déception liée à l'objet, celui-ci se désinvestit de sa charge libidinale qui reflue sur le Moi dans un mouvement de régression narcissique. » André Green, bien des années plus tard, précisera que « le repli narcissique est une solution défensive du sujet […] qui expose le Moi à des angoisses très menaçantes : des angoisses narcissiques. », et devient « un refuge précaire face à un objet décevant ou non fiable. » Didier Anzieu introduit sa notion de « Moi-Peau » en 1974 en écrivant « La première différenciation du Moi au sein de l'appareil psychique s'étaye sur les sensations de la peau, et consiste en une figuration symbolique de celle-ci. C'est ce que je propose d'appeler le Moi-Peau ».

Selon Régine Prat, « L'existence d'un supposé narcissisme primaire, temps totalement séparé de l'Autre et du monde extérieur, temps anobjectal fonctionnant seulement sous le primat du principe de plaisir, où la réalité serait inexistante ou tenue à l'écart, un narcissisme qui prend son origine dans la vie fœtale, défini par B Grunberger (2003) comme un « narcissisme pur », semble intenable face aux connaissances apportées sur le développement sensoriel in utero par les travaux des années 1970-1980. » Selon elle, il n'y aurait donc aucune trace d'investissement anobjectal au cours du développement fœtal, à l'inverse de ce que défendait Victor Tausk en 1919, y compris durant les premières semaines de vie.

Par conséquent, si l'objet est perçu au travers des récepteurs tactiles et somato-sensoriels, ces études sur la vie psychique des 'fœtus-nourrissons' posent l'hypothèse que ces derniers seraient dans une recherche constante de contact avec l'objet environnemental ; la rencontre avec cet Autre deviendrait alors un élément constitutif de leur existence, et cela, dès les trois ou quatre premiers mois de vie utérine. Les premières différenciations s'établiront à partir du toucher : on ne peut pas toucher sans être touché. Tous les organes sensoriels dès la naissance seraient autant de capacités de mentalisation-symbolisation. La mémorisation de ces traces sensorielles enregistrées pendant la gestation a comme rôle de préparer alors cette nouvelle vie attendue, remplie de stimulations nouvelles au travers des perceptions déjà connues.

Ce qui a été connu avant la naissance sera en effet recherché et préféré plus tard, la peau tenant lieu de 'premier' langage. Le bébé alors défini par son 'Moi-peau', va vivre sa première sensation de perte de contenant dès sa naissance, et se mettra alors à la recherche dans son environnement d'un nouvel objet contenant, de substitution. Ce premier objet serait selon Bick, « le mamelon dans la bouche tout ensemble avec la tenue, le parler et l'odeur familière de la mère ».

Ainsi se construisent les bases fondatrices de l'attachement. Dés lors que cette rencontre avec ce tout premier objet ne répond pas aux attentes du nouveau-né, alors peut-être, pouvons-nous parler d'un premier repli narcissique, qui se manifesterait par des pleurs ou de trop grands silences… Peut-il aimer sans se faire aimer ? Peut-il donc s'aimer, sans ce retour réflexif ? Ce même procédé se revivra une multitude de fois dans la relation qui relie le jeune sujet d'abord à sa mère avec cette première étape fusionnelle Moi-Peau, puis cette différenciation indispensable qui aboutira vers la seconde identification, celle du père, pour enfin que l'enfant, dans un contexte favorable de développement psychosexuel puisse accéder à sa propre identité.

Le chemin reste long et semé d'embuches ; les occasions de frustrations, toutes indispensables au bon déroulement de son évolution lui imposent chaque fois, une modification perceptible de son Moi en construction, et par conséquent, une mise en retrait ou en régression de ce même Moi au profit des nouveaux pas qu'il aura effectués vers l'Autre et le monde extérieur. Le stade du miroir est l'étape où deux routes bien distinctes s'ouvrent à l'enfant : celle du symbolisme, du langage et de la libido objectale, et l'autre, celle d'une fixation à l'état de la libido du Moi. Ce mécanisme de défense fondé sur l'expérience du vécu hostile par l'Autre, détermine cette non-capacité à la confiance, cette non-unification corporelle, et ferme la porte à ce premier repli narcissique ou 'position dépressive infantile' sur lequel se construisent toutes les futures relations objectales.

Le complexe d'Œdipe placé sur le chemin de l'évolution du jeune enfant sera de nouveau une épreuve pour le narcissisme du sujet : cette frustration, interdiction ou castration impose par elle-même, de nouveau un repli narcissique qui peut prendre différentes formes selon que ce dernier se drapera d'agressivité ou de passivité ; dans les deux cas l'estime de soi étant attaquée, la re-narcissisation lors de la période de latence n'en sera que plus dure, en fonction de son vécu. Pourtant, la narcissisation secondaire reste une étape indispensable pour rencontrer de nouveaux visages, de nouveaux liens, et par-là même, continuer à se construire face à eux. Nombre de situations feront choisir à l'enfant la voie du renoncement pulsionnel et narcissique, ou subir la voie du refoulement. Dans le premier cas on parle également de manifestations plus ou moins conscientes des replis narcissiques, dans le second inversement, l'inconscient se remplira de refoulement et de possibles futurs symptômes qui se feront jour quand le trop-plein arrivera, et quand l'inconscient ne pourra plus les contenir. Alors, le prodrome du symptôme narcissique naîtra sous des formes variées comme la dépression, la mélancolie, l'hypocondrie, ou par toutes autres formes somatiques, phobiques ou alimentaires.

L'adolescence comme le grand âge sont deux périodes où l'identité connait une succession de blessures, de transformations et par conséquent, de conflits psychiques éclatants. L'investissement des représentations du Soi (Instance de la personnalité dotée de fonctions de relation selon Heinz Kohut) alors éprouvé, la confiance et l'estime de soi fragilisées, des troubles du comportement et de l'humeur apparaissent parfois associés à des sentiments de honte ou de culpabilité qui prennent alors la forme de ces replis narcissiques. Pour sa part, Béla Grunberger place le narcissisme au rang d'instance psychique à part entière en le pourvoyant d'une part, d'un besoin d'affirmation de soi, et d'autre part, d'un besoin de 'rétablir une dépendance permanente' ce qui se rapporte particulièrement bien à la crise de l'adolescence.

Les sujets sont en effet plongés dans cette ambivalence consciente et inconsciente de recherche d'affirmation identitaire et d'autonomie, avec celle d'une dépendance ou d'un réajustement de dépendance-refuge. Selon les situations rencontrées, renoncements, régressions, replis et refoulements répondent au réservoir des pulsions, remises sans cesse au premier plan. La place du regard des autres est centrale et détermine encore l'image d'eux-mêmes. Ainsi ils peuvent osciller entre état dépressif et jouissance sans grand contrôle de leur état émotionnel et restent longtemps fragilisés. L'idéal du Moi et le Surmoi jouent, pour chacun d'eux, leurs rôles de régulateur ou de stimulateur dans le meilleur des cas, mais peuvent aussi parfois agir plus sévèrement et annihiler certains, davantage confrontés à de fortes tensions, frustrations ou situations castratrices. Dans le grand âge, l'accession à la jouissance étant devenue particulièrement restreinte, les sujets sont face à la perte progressive de leurs fonctions organiques et motrices et sont majoritairement confrontés au renoncement à bon nombre de satisfactions.

Qu’implique le narcissisme ?

Certains d'entre eux sont alors plongés dans des formes de confusion, accompagnées de symptômes dégénératifs supplémentaires et pathologiques, leur imposant une perte réelle de leur mémoire et de conscience de leur réalité pour ainsi changer leurs états confus de régressions très signifiantes en refoulements massifs. A l'acmé de l'âge adulte, c'est la période de la passion amoureuse durant laquelle le sujet vit d'intenses modifications de son état du Moi, face à l'objet désiré. Le narcissisme est alors au cœur des priorités qui, par effet de projection ou de miroir, se parera de tous les outils de séduction pour satisfaire cette quête de l'amour de l'Autre tout en puisant dans l'amour de soi-même. Chargés par la force du désir et des pulsions sexuelles, les sujets amoureux font preuve d'un narcissisme absolu en séduisant de mille et une façons, ne se trouvant jamais assez forts, assez beaux et redoublant de créativité ou de sublimation pour obtenir satisfaction.

Le Moi libidinal et le Moi-objectal sont alors en étroite collaboration pour répondre à la demande initiale d'unification, de réalisation amoureuse avec l'Autre. C'est ce que mettra en exergue André Green à son tour dans son texte 'Narcissisme de Vie, Narcissisme de Mort', et précisera « C'est parce que le narcissisme donne une certaine indépendance au Moi en transférant le désir de l'Autre sur le désir de l'Un qu'il faut considérer un narcissisme de mort, car l'objet a été tué au départ de ce processus. Au lieu de déplaisir, c'est le Neutre qui se substitue au plaisir. » La valse des frustrations et jouissances créent par la suite le terreau sur lequel la relation amoureuse va prendre naissance, ou avorter.

C'est alors, que les sujets amoureux, en cas de trop grande déceptions ou castrations, souffrent de symptômes narcissiques assez communs comme la célèbre blessure narcissique après une rupture imposée par l'Autre, ou de dépression réactive ponctuelle appelée plus communément « chagrin d'amour » quand celui-ci dure un peu trop longtemps. Là encore, renoncement, repli, retrait et refoulement sont à l'œuvre et peuvent successivement interagir comme des mécanismes de défense plus ou moins adaptés. En conclusion, tout le long de la vie, depuis la naissance jusqu'au grand âge, les expressions du repli narcissique du Moi sont présents afin d'obtenir des finalités toujours ancrées dans des contextes environnementaux très différents mais toujours face à l'objet.

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Écrit par

Isabelle Portal

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Bibliographie

  • Desuant, P (2003). "Névrose, Œdipe et blessure Narcissique"  PUF.
  • Vigneault, J (2014). "Pour introduire la notion freudienne de narcissisme des petites différences dans l'individuel et le collectif". AIIP

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