Qu’appelle-t-on le Narcissisme ?

« L’intolérance des masses se manifeste curieusement à l’égard des petites différences plus fortement qu’à l’égard des différences fondamentales. » Sigmund Freud

10 JUIN 2024 · Lecture : min.
Qu’appelle-t-on le Narcissisme ?

Communément, une personne dite « narcissique » semblerait définie et confrontée à ce jugement, en premier lieu, par les Autres… Narcissisme signifierait 'amour porté à l'image de soi-même, auto-centrage, parfois même égoïsme, peu ou pas d'empathie'. L'origine du terme puise son essence dans le mythe grec du chasseur Narcisse, fils de Céphise et de la nymphe Liriope.

C'est l'histoire d'un homme d'une beauté exceptionnelle, qui reste insensible à toute sollicitation extérieure de l'amour demeurant, toute son existence, centré sur lui-même, et sur l'admiration de sa beauté. Ceci finira par lui coûter la vie, car Narcisse tellement épris de sa propre personne périt noyé en essayant d'embrasser le reflet de sa propre image dans une fontaine.

Qu'appelle-t-on le Narcissisme ?

Est-ce un réel trouble de personnalité pathologique, ou plutôt un ensemble de traits de caractère à des degrés variables en tout un chacun ? Freud a emprunté le terme de Narcissisme à Paul Näcke (psychiatre et criminologue allemand) qui le désignait par un individu qui traitait son propre corps comme le corps d'un objet sexuel, sujet repris par la suite par le psychologue britannique Havelock Ellis qui nomma ce comportement un trouble de la personnalité avec une forme de fétichisme sexuel tourné vers soi-même. C'est dans le sens d'une sexualité autoadressée que Freud introduira ses premières études sur le narcissisme en faisant le parallèle avec l'homosexualité, dans sa théorie psychanalytique.

Plus tard, il présentera le Narcissisme comme un stade normal du développement psychologique de l'enfant, associé à l'amour de soi et à l'égocentrisme, qu'il désignera comme le « Narcissisme primaire ». L'absence de distinctions entre la mère et l'enfant définit, selon lui, cette première période. Certains développementalistes aujourd'hui, dans la lignée winicottienne, semblent remettre en question cette théorie en démontrant que les bébés auraient finalement la capacité de différencier très tôt ce qui vient d'eux-mêmes de ce qui leur vient du monde extérieur, comme par exemple, le visage de leur mère.

Ce débat qui reste ouvert, avance l'idée que ce premier stade anobjectal du développement, connaîtrait une lente mise en place de différenciation entre le soi et le non-soi, sans en révéler précisément les contours. Pour autant, « His majesty the Baby » vivant comme dans sa poche utérine dans un état de toute puissance, d'autosuffisance absolue, construirait progressivement un début d'émanation de son Moi qui deviendrait alors son objet d'investissement de la libido. Hypothèse cohérente quand on réfléchit au corps de l'enfant qui dès les premières semaines de vie subit des transformations physiologiques importantes ; ne serait-ce pas déjà le résultat d'une libido narcissique opérante, ayant alors comme tout premier objet d'amour investi le corps (avec des contours plus ou moins définis ou indéfinis selon les débats).

Au départ le Moi est un Moi ''plaisir'' qui garde en soi ce qui est bon et expulse le non-Moi, ce qu'il juge comme mauvais et étranger. Cela constitue un noyau narcissique primaire bannissant l'hétérogène de son univers. Ainsi ce qui est haï, impur et étranger pour ce noyau narcissique met en danger le Moi en sa cohérence naissante. Lacan précisera d'ailleurs que dans la notion de narcissisme il y a d'abord quelque chose qui se rapporte à l'image corporelle. C'est aussi pourquoi cette autosatisfaction originelle est appelée communément auto-érotisme. Dès cette phase le nourrisson s'emploie donc à satisfaire sa libido dans un tout premier registre narcissique. Progressivement, la fusion ou le narcissisme primaire va céder sa place à la différenciation, si tous les facteurs affectifs et environnementaux le permettent. C'est alors que ce 'premier narcissisme' réfléchi dans le miroir va pouvoir laisser s'exprimer une fondation noétique et introduire un second narcissisme : celui du langage et de son symbolisme, en fonction de la qualité de sa relation avec cet autre.

Qu'appelle-t-on le Narcissisme ?

D'après Henri Wallon, cette étape de croissance constituerait la deuxième phase du Narcissisme primaire, située au tout début du stade du miroir. La prise de conscience d'une ou de plusieurs réalités extérieures va attirer l'attention du petit enfant vers d'autres objets que lui-même. C'est aussi lors de ce passage que l'enfant accède aux trois univers borroméens de Jacques Lacan : le réel, le symbolisme et l'imaginaire. Par la suite, l'infans sera définitivement éveillé à la notion du Soi et du non-Soi et sera passé dans le stade du Narcissisme secondaire, qui se manifeste 'normalement' par cette position de névrose dépressive infantile annonciatrice du détachement et de la mise en place du premier repli narcissique vécu par le sujet. Plus l'énergie est déployée vers le dehors, plus le Moi s'affaiblit. Ce qui est investi sur le monde est temporairement perdu sur soi-même et vice versa.

C'est ce que Freud présentera lors de sa deuxième théorie des pulsions en mettant en dualité le Moi et l'objet par les pulsions auto-conservatrices et les pulsions sexuelles pour finalement les réunir lors de sa troisième théorie sur les pulsions en nommant « Ça » le réservoir de la libido comprenant les deux motions (Moi + Objet). Pour ce dernier, la névrose narcissique est assimilée à la psychose, et il précisera d'ailleurs que « Le narcissisme devient alors pathologique si l'homme à l'âge adulte ne parvient toujours pas à se décentrer de soi et à aimer d'autres objets que lui-même. » Par ailleurs il distinguera également les « psychonévroses narcissiques » des autres psychoses, autour des sujets notamment mélancoliques et endeuillés.

L'approche de Francis Pasche en 1964 s'insère dans un débat qui oppose certains théoriciens comme Federn et Grunberger apologistes du narcissisme primaire, à ceux qui défendent l'amour primaire comme Balint ou Bowlby. Selon ceux-ci, tout débuterait de l'amour pour la mère, tandis que pour les autres, c'est plutôt l'amour de soi-même qui détermine l'avenir de l'affectivité du sujet à dominance narcissique ou objectale. Pasche introduit sa notion d'anti-narcissisme comme étant le mouvement de la libido auto-conservatrice du Moi affaiblie, dès lors qu'elle investit par instinct de survie, l'amour de la mère, et donc du premier Autre. Freud avait seulement opposé amour narcissique et amour objectal, tandis que Pasche les oppose sous les termes de narcissisme (investissement centrifuge) et d'anti-narcissisme (investissement centripète).

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Écrit par

Isabelle Portal

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Bibliographie

  • Penot, B. (2009). De l'idée freudienne de narcissisme primaire à celle de subjectivation, deux approches complémentaires en psychanalyse. Revue française de psychanalyse, 73, 487-503. https://doi.org/10.3917/rfp.732.0487
  • Lemaire, J. (2012). Failles identitaires et phénomènes d'emprise : l'apport du travail psychanalytique. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 58, 9-27. https://doi.org/10.3917/rppg.058.0009
  • Jejcic, M. (2017). L’âme du narcissisme: Christian Fierens. La revue lacanienne, 18, 303-307. https://doi.org/10.3917/lrl.171.0303

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